Les films de Charles-Georges Duvanel
Aspects documentaires: Charles-Georges Duvanel (1906-1975)
par Pierre-Emmanuel Jaques
La sortie récente de longs métrages documentaires suisses, dont plusieurs ont été couronnés d’un succès relativement important -on peut penser entre autres à B comme Béjart (Marcel Schübpach, 2002), Forget Bagdad (Samir, 2002), War Photographer (Christian Frei, 2001), Von Werra (Werner Schweizer, 2001) ainsi qu'aux films récents de documentaristes déjà célèbres comme Jacqueline Veuve, Richard Dindo ou Alexander Seiler- a suscité l’étonnement des critiques et s’est accompagnée de débats dans la profession, concernant aussi bien le soutien à la production locale que le lien entre le contexte socio-historique et le travail des cinéastes. On s’est souvent ébaudi sur le fait que la non-fiction a pris, quantitativement parlant, voire, aux dires de certains intervenants, qualitativement, une importance qui lui a fait dépasser la production considérée généralement comme la plus prestigieuse, celle du long métrage de fiction.
La prépondérance quantitative du documentaire a cependant toujours été une constante de la production cinématographique du pays. Certes, les films actuels n’entretiennent que peu de rapports formels, stylistiques ou thématiques avec leurs prédécesseurs et le système de production a considérablement évolué, notamment avec l’instauration d’aides étatiques qui privilégient un cinéma conçu comme création artistique. De même, les attentes du public se sont modifiées, notamment dans le sens d’une demande d’un regard propre à un "auteur" entendu comme une instance dotée d’un point de vue original sur l’environnement social ou politique.
En évoquant quelques aspects de la carrière d’un des documentaristes les plus importants du pays, Charles-Georges Duvanel, nous voudrions revenir sur le cadre dans lequel une production documentaire régulière s’est avérée possible dès les années 1920, et revenir sur certaines des constantes qui traversent aussi bien les films de ce cinéaste installé à Genève, que plus généralement la production documentaire suisse. Plutôt que de suivre pas à pas les films de Duvanel, nous voudrions insister sur certaines constantes qui traversent les titres qu’il signa au long d’une carrière qui s’étend du milieu des années 1920 jusqu’au début des années 1970. Outre les qualités évidentes que présentent les films de Duvanel, plusieurs raisons nous ont mené à nous intéresser à ce corpus sinon méprisé, du moins largement méconnu.
La première est la préservation quasi intégrale à la Cinémathèque suisse des bandes tournées par le cinéaste. Convaincu de la nécessité de conserver les images du passé, le cinéaste avait remis à Freddy Buache l’intégralité de son matériel. Plus tard, en 1995, la Cinémathèque a pu acquérir un fonds papier d’une exceptionnelle richesse constitué par Duvanel lui-même qui retrace la production des films, et surtout leur réception critique dans les journaux du pays et parfois même à l’étranger.
Enfin, ces films sont pour une large part représentatifs de mouvements plus généraux de la production cinématographique en Suisse. Cette représentativité comprend d’ailleurs de multiples aspects : la carrière de Duvanel correspond pour une large part à celle d’autres documentaristes en Suisse, comme August Kern ou Adolf Forter ; le cinéaste a joui d’une solide réputation (il est membre de la Chambre suisse du cinéma entre 1942 et 1963, il est chargé de représenter la Suisse à la Biennale de Venise à la fin des années 1940, il reçoit des commandes du CICR, des CFF, de la Régie fédérale des alcools, de la ville de Genève) qui se traduit par une reconnaissance quasi officielle de ses films par les autorités politiques. Les ailes en Suisse (1929) se voit accorder le haut patronage du Conseiller fédéral Jean-Marie Musy ; la première de L’année vigneronne (1940) se fait en présence du Conseiller fédéral Enrico Celio et de plusieurs Conseillers d’Etat vaudois. Enfin, les films de Duvanel ont servi pour une large part à construire une image de la Suisse qui correspond, comme nous le verrons, aux ...