Décadrages

Décadrage : notion constituée extérieurement et antérieurement au champ du cinéma, mais qui peut être relancée et rejouée par celui-ci. Notion susceptible d’être encore réinvestie en deçà (peinture, gravure, photo) ou au-delà (télévision, nouvelles images). Le décadrage est cette opération métaphorique qui met au jour des relations inédites en « décadrant » le point de vue.

Décadrages : autour du noyau qu’est le cinéma, matrice ou point de convergence de réflexions diverses, gravitent des conceptions élargies du terme, des pratiques esthétiques ou culturelles similaires, des outils théoriques qui permettent de le considérer à travers champs. Le pluriel renvoie à la multiplicité des angles d’attaque, à une diversité des écritures et des moyens d’expression qui est notamment manifeste dans ce numéro 1-2 à travers les gravures et le texte « Plans de chutes » de la partie « hors-cadre ».

Dossier : le hors-champ

La formule retenue pour l’organisation des numéros de Décadrages est celle du dossier, ce qui nous permettra aussi bien de partir du cinéma que de passer par lui pour envisager d’autres phénomènes (audiovisuels ou non). Pour ce premier numéro, nous avons opté pour une problématique large et ouverte, le « hors-champ », qui permet de décliner différentes acceptions du terme : technique, esthétique, métaphorique, etc. La complexité de cette notion souvent discutée dans les écrits sur le cinéma (dernièrement chez Louis Seguin dont nous commentons l’ouvrage et auquel nous donnons la parole) a induit un registre d’écriture dont le caractère théorique ne sera pas forcément aussi présent dans les dossiers à venir qui pourront porter sur un corpus de films, voire sur un seul film (ainsi de Fenêtre sur cour dans le numéro 3). Dans tous les cas, nous ne prétendrons pas dresser un état des lieux de l’objet retenu, mais nous servir de celui-ci comme d’un point de départ pour parcourir différents champs.

Rubrique cinéma suisse

Avec sa rubrique suisse, Décadrages a aussi pour but de donner une visibilité à des « événements » suisses, qu’il s’agisse de films considérés comme suisses (cf. « Ce jour-là : l’helvétisme de Ruiz ») ou de manifestations se déroulant en Suisse telles que festivals, rétrospectives, expositions, etc. En outre, notre implication institutionnelle et associative nous permet d’être à l’origine de certains de ces événements. Ainsi en a-t-il été de la programmation du Tom, Tom… de Jacobs au cinéma 102 de Grenoble, du projet Magellan dans le cadre du Festival Archipel 2003 et de l’invitation de Vincent Pluss à l’Université de Lausanne ; ainsi en sera-t-il en décembre 2003 de la projection de films de Werner Nekes co-organisée par le cinéma Spoutnik et l’École supérieure des Beaux-Arts de Genève. Quant au dossier Straub et Huillet, initié par une manifestation lausannoise, il se trouve être en phase avec une actualité à venir, la rétrospective que leur consacre la Biennale de l’Image en Mouvement (du 7 au 15 novembre 2003). Notre revue, on l’aura compris, entend par conséquent rendre compte d’événements locaux (rétrospective Dwan au festival de Locarno 2002, venue de Fitoussi au cinéma Spoutnik en février 2003, Prix du Cinéma Suisse 2003 attribué à Vincent Pluss au festival de Soleure) en faisant le point sur des questions relatives à divers aspects du cinéma en Suisse (production, réalisation, exploitation), sans pour autant négliger de porter un regard rétrospectif sur ce dernier (le documentariste Charles-Georges Duvanel), surtout lorsqu’il permet d’instaurer une actualité du passé, par exemple dans l’article « À nouveau du nouveau dans le cinéma suisse » où l’auteur s’interroge sur la nature des liens qui s’instaurent entre des productions récentes et les cinéastes du Groupe 5 dans les années 1970.

Par ailleurs, nous désirons donner à cette actualité une autre dimension (induite par le rythme de parution bi-annuel), celle d’une actualité de la réflexion qui, pour nous, consiste à (re)mettre sur le devant de la scène théorique et critique certains objets jugés productifs. L’ouverture à tous types de pratiques audiovisuelles apparaît dès la table des matières de ce premier numéro, puisque s’y côtoient des films expérimentaux (Nekes, Jacobs et Frampton), un film auteurisé (In the Mood for Love), la production d’un cinéaste hollywoodien (Allan Dwan), un genre documentaire (le film animalier) et une émission de « télé-réalité » (Loft Story). De la sorte, l’ensemble des contributions de ce numéro 1-2 tend, à travers la question du hors-champ, à éprouver les limites d’un certain nombre de catégories préétablies, à marquer la porosité des oppositions entre culture populaire, avant-garde et cinéma labellisé « artistique ». Malgré cet éclectisme, certaines affinités électives en viennent à se tisser entre les objets du dossier, suscitant des recoupements. Au lecteur de se frayer une voie, à travers champs…