Straub, Huillet et Cézanne

Les documents qui accompagnent cet article sont accessibles dans le fac-similé disponible au téléchargement. Ils nous ont été communiqués par François Albera et sont publiés avec l’aimable autorisation de J.-M. Straub et Danièle Huillet.

Présentation

Sans doute l’absolu du hors-champ réside-t-il dans l’éviction même d’un film que l’absence de soutien financier condamne à l’impossibilité de voir le jour. Le dernier projet de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, cinéastes qui œuvrent depuis les années 60 à affirmer une démarche cohérente et anti-conformiste, en est un exemple récent.

La radicalité de leur travail, tant dans leur respect de la réalité telle qu’elle s’est offerte à la prise de vue (et de son) que dans la place centrale accordée aux textes (de Hölderlin, Kafka, Mallarmé, Vittorini,…) qu’ils ont faits leurs, semble peu compatible avec certains critères économiques de rentabilité. Procédant d’une réflexion sur la (non-)représentation au cinéma qui s’inscrit dans la filiation de la distanciation brechtienne, leurs films se montrent particulièrement exigeants envers leur public.

Après la trilogie vittorinienne (Sicilia ! / Operai, contadini / Umiliati), Straub et Huillet élaborèrent un projet autour de Paul Cézanne (pour lequel ils avaient déjà témoigné leur intérêt en 1990 dans Cézanne. Conversation avec Joachim Gasquet) qui, comme à leur habitude, naquit d’une confrontation entre un texte et des images (les tableaux du peintre exposés au Louvre).

Les documents reproduits ci-dessous permettent d’une part de revenir au « découpage » initial de ce film dont le titre provisoire était Je suis Cézanne, d’autre part de rendre compte de l’accueil que lui ont réservé deux instances auprès desquelles les cinéastes ont demandé un soutien, le Louvre et Arte. Texte de présentation et découpage intégral permettront au lecteur de se faire une idée du projet et d’y éprouver la pertinence des critiques qui lui sont faites. Notons que le Musée du Louvre, qui n’est pas entré en matière en ce qui concerne la co-production du film, n’a pas non plus offert d’avantages financiers aux Straub qui tournaient dans ses murs (les Straub filmant toujours in situ).

C’est toutefois le refus d’Arte France Cinéma qui présente le plus d’intérêt, car, étant argumenté, il permet de mettre en évidence les critères de sélection qui prévalent pour de telles instances décisionnelles. Dans la réponse négative d’Arte figurait la mention d’usage selon laquelle les cinéastes pouvaient accéder, s’ils le désiraient, à la fiche de lecture de leur scénario, c’est-à-dire au document relatif à l’évaluation de leur projet. Straub et Huillet ont demandé cette « fiche » que nous avons annexée au dossier. Ainsi nos lecteurs pourront-ils se faire un avis sur la pertinence des jugements émis sur la base des différentes pièces de ce dossier, soit :

la réponse du Louvre concernant la demande de co-production

(page 139) ;

la réponse d’Arte France Cinéma (page 140) ;

la fiche de lecture d’Arte : lettre de réponse ; présentation succincte ;

évaluation plus développée (pages 141 à 145) ;

la présentation faite par Straub-Huillet de leur projet (pages 146

et 147) ;

le « scénario » proposé pour Je suis Cézanne (pages 148 à 160) ;

le budget global du film (page 161).

Précisons que ce film qui aurait pu hanter le hors-champ définitif du cinéma, comme tant d’autres projets qui n’ont pas su/pu/voulu se vendre, a néanmoins réintégré le champ, espace capital dans l’esthétique straubienne. En effet, en dépit du refus essuyé auprès d’Arte France Cinéma, le film a tout de même été tourné. Comme toujours chez les Straub : envers et contre tout.