Alain Freudiger

Quand Zurich brûlait. Urgence et permanence du document Züri brännt

Cet article se penche sur le film Züri brännt (collectif Videoladen, 1980), un brûlot tourné dans l’urgence lors de la révolte de la jeunesse zurichoise en 1980. Outre l’accent mis sur son aspect formel, assez inventif (utilisation de la vidéo, montage par associations, nombreux inserts et surimpressions), le film est aussi appréhendé selon les différentes catégories de genre auquel il peut renvoyer : témoignage, documentaire, film politique. Jusqu’à participer de l’écriture, si ce n’est d’une fiction, du moins de la légende de ces événements fondateurs de la culture et de la société suisse contemporaine.

Etrange objet que Züri brännt (collectif Videoladen, Suisse, 1980). Ce film met en images, en sons et en paroles la révolte de la jeunesse zurichoise au cours de l’année 1980, « événement fondateur » qui posera les bases durables d’une nouvelle donne sociale et culturelle, à travers la dynamisation de la scène underground ou alternative zurichoise, la transformation de la politique culturelle de la ville et l’établissement de quelques lieux parmi les plus emblématiques de Zurich, comme la Rote Fabrik1. Mais le film, lui, a été réalisé très peu de temps après le début des événements, quelques mois, comme dans une urgence – il a été montré pour la première fois en novembre 1980. De ce fait, il supporte (ou apporte) plusieurs niveaux de lecture, en constituant à la fois un témoignage, un documentaire, et un film de « propagande » (agit-prop ou cinéma direct). Cette urgence à exercer une influence, à documenter et à témoigner, même si paradoxalement il y a peu de témoignages verbaux dans le film, provient sans doute d’une volonté de s’élever contre la censure – des images tournées par des étudiants de l’Université de Zurich durant la manifestation du 30 mai seront interdites par l’exécutif zurichois – et de faire entendre une contre-voix – le traitement des événements par les médias, et singulièrement par la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), le quotidien phare de Zurich, est vivement critiqué2. En outre, au moment où le film s’achève, le mouvement et les questions qu’il soulevait n’avaient pas encore trouvé d’issue : le film se termine d’ailleurs sur une sorte de non-fin, pause ou suspension3.

Mais s’il y avait clairement la volonté de peser sur le débat avec la réalisation d’un film politique ou d’un « pamphlet », le souci formel et esthétique était également très présent, puisque sur bien des aspects, à commencer par l’utilisation de la vidéo – dont les avantages en termes de maniabilité, de rapidité (visible le soir même : brèche dans le monopole de la TV sur l’actualité) et de coûts sont évidents –, Züri brännt se montre novateur dans la production cinématographique suisse4. Et si tout cela était juste une fiction, une histoire ?

Une construction hybride

Dans tous les cas, le film se démarque de prime abord par un commentaire sec et désabusé sur la ville de Zurich à cette époque-là, triste cité d’affaires et de béton, grise et ordonnée – le noir/blanc en qualité vidéo, d’ailleurs, est plutôt « sale », comme s’il s’appropriait et absorbait le gris de la ville qu’il dénonce : « Noir et blanc ne voudra plus dire ‹ clair et net › », dit le commentaire. Zurich apparaît surtout comme un assemblage d’artères automobiles envahissantes et de hautes tours arrogantes. Constitué d’une série de plans immergés dans la ville, travellings avant sur des routes et des avenues (fig. 1), rythmé par une musique tendue et comme en attente (basse, calme avant la tempête), ce premier « bloc » du film fait, d’une certaine manière, office de fil conducteur, par la trajectoire, ou de liant, par la matière. Mais au-delà, le commentaire laisse aussi sourdre le bouillonnement qui finira par déborder, avec quelques accents prophétiques :

« Mais en bas, là où le crépi commence à s’écailler, où le ruissellement honteux des culs humains torchés aux kleenex conflue en un cloaque puant, là, proliférant joyeusement depuis longtemps, vivent les rats. Ils parlent une langue nouvelle, et lorsque cette langue percera, lorsqu’elle arrivera au jour, ‹ sitôt dit › ne sera plus ‹ aussitôt fait ›, ‹ noir sur blanc › ne sera plus ‹ clair et net ›, ancien et nouveau se confondront. Estropiés, pédés, ivrognes, junkies, magutts, nègres, poseurs de bombes, pyromanes, truands, taulards, femmes, et tous les danseurs de rêve afflueront en foule pour brûler les pères. »5

A cela vont s’ajouter ou s’insérer bien d’autres éléments : scènes prises sur le vif (débats, concerts, manifestations…), bribes d’entretiens face à la caméra, photographies (bâtisses, affiches, graffitis…), surimpressions, extraits d’archives (situées parfois dans un contexte plus global, guerre américaine ou mort de Rudi Dutschke). Le tout formant un ensemble hybride mais cohérent, aussi bien au niveau « dramaturgique » – si l’on peut dire – que formel et discursif : ainsi, certaines juxtapositions de plans (myriades de sonnettes (fig. 2) faisant écho aux questions de l’habitat et de l’urbanisme ou consacrées au siège du quotidien NZZ dont les caractères gothiques contrastent drastiquement avec les graffitis et la graphie punk employée par le film et le mouvement (fig. 3-5)) revêtent un caractère exemplaire d’exposition ou d’opposition. L’aspect purement graphique du film, d’ailleurs, est si riche qu’il mériterait une étude à part entière.

Visiblement, malgré la rapidité de l’achèvement du film, tout cela a été pensé, articulé, monté et construit en vue d’élaborer un propos soutenu, qui dépasse le seul témoignage pour devenir à la fois documentaire et film politique6. L’esprit qui y règne est également protéiforme, représentant sans doute la diversité du mouvement lui-même : post-soixantehuitard (argumentation politique et sociale), punk, clownesque (interventions télévisées), bon enfant, radical (violence discursive), ou simplement festif et jouisseur. Un mouvement qui, d’ailleurs, a une forte conscience d’appartenir à une génération donnée : les références aux « aînés » de 1968 – dans un flash-back au début du film – ou à la génération encore à venir – par l’aspect prophétique du commentaire, notamment – sont fréquents tout au long du film.

Et si l’on excepte quelques rares procédés un peu indignes7, le film réussit en outre à être une sorte de brûlot sans tomber dans les effets faciles du cinéma de combat ou de dénonciation. Et cela tient à plusieurs choses : d’abord à la grande cohérence de sa construction, malgré ses multiples niveaux textuels. Il y a un récit, avec ses péripéties et ses obstacles, ses avancées et ses retours en arrière, mais il y a aussi des couches reliées selon d’autres axes et revenant sous diverses formes dans le film : ainsi, le problème de l’habitat, qui commence par une discussion dans un squat et passe par de multiples autres phases, de la dénonciation du béton à la question du « chez soi », ou celui de l’expression libre, depuis le problème des radios pirates jusqu’à l’invention d’un « nouveau langage ». Cela tient ensuite à l’intelligence des contrastes – rapport au corps (du policier en « armure » jusqu’au manifestant nu), rapport à la musique ou à la culture en général (punk contre opéra, fête de rue contre Sechseläuten8), rapport esthétique (nous avons donné l’exemple de l’opposition graphique). Cela tient, enfin, à l’honnêteté de son positionnement : le film, un collectif, a été réalisé par des personnes impliquées dans les événements eux-mêmes (le commentaire parle régulièrement au « nous ») ; il est donc partisan, mais n’est pas dépourvu de certaines nuances, comme par exemple lorsqu’il montre un garde privé, assez bonhomme, qui n’est pas du tout inquiété par les squatters, ou quand, lors d’une manifestation décisive, pour éviter une nouvelle flambée de violence, on entend le policier responsable sur le terrain demander l’autorisation au directeur de la police de retirer ses hommes, ou encore quand, peu après l’ouverture du centre autonome, un plan montre un jeune se désoler de devoir apprendre des principes de base de sécurité à ses camarades (ne pas laisser de bougies allumées sur un matelas). Or, tout a été réalisé dans un laps de temps qui ne laissait pas place à un véritable recul.

Un discours pour quand ?

Pour autant, dans quelle mesure Züri brännt est-il un film prévu pour être vu en 1980, ou destiné à la postérité ? Cette question est intéressante, parce qu’elle détermine en partie sa réception en termes de genre : agit-prop, documentaire ou témoignage. Les plans de manifestations, assez nombreux, ou ceux de discours en assemblées sont ainsi proches du registre du témoignage : on est dans la trace de l’événement. Mais avec le commentaire, avec l’articulation chronologique et thématique, avec l’utilisation de diverses sources d’image (TV notamment), on est au-delà du témoignage, dans un discours documentaire. Enfin, avec l’insertion de textes ou de cartons, avec les surimpressions et autres interventions sur l’image – bandeau noir sur les yeux d’un politicien, par exemple (fig. 6) –, avec le montage par associations, avec l’utilisation d’images d’archives extraites de leur contexte, avec les torsions opérées sur la bande-son – surgissement de bruits de baleine, par exemple –, on retrouve des procédés de l’agit-prop, on passe dans le commentaire et le film politique, ou « de combat » (ciné-tract). En outre, ces événements, tout frais dans le film, sont depuis entrés dans la légende zurichoise, si ce n’est suisse (car le mouvement essaimera – ou aura des équivalents – dans d’autres villes : « Lôzane bouge » à Lausanne en 1980, mais aussi Bâle, Berne…). L’héritage s’en fait encore largement sentir aujourd’hui : les centres culturels alternatifs, les squats, certaines structures sociales ou artistiques, le simple fait d’accorder une place à une culture « alternative » dans ce pays sont des restes de ce mouvement, et nombre de gens issus de cette scène sont devenus des incontournables de la culture en Suisse, que ce soit au niveau institutionnel ou artistique. Le film, qui véhicule l’imaginaire de ces événements, se trouve alors marqué par l’aspect « mythologique » qu’ils ont pris.

Or, en regardant ce film avec cette conscience, on y lit déjà la légende en train de s’écrire : et il est vrai que certains aspects de la « dramaturgie » peuvent participer de l’épopée, une épopée certes sans héros – comme le mouvement, qui refusait de déléguer des représentants et de se reconnaître des leaders : la plupart des personnes intervenant dans le film sont des anonymes, à l’exception des personnages publics (politiques, principalement) qui sont nommés et clairement figurés – mais avec certains exploits soulignés, comme la première manifestation tout nus9, ou le brasier inaugural : juste après la première manifestation à l’opéra, on entend la voix over d’un journaliste commenter les événements pour quelque journal du soir. Ses propos s’achèvent par : « […] ce qu’on n’avait encore jamais vu à Zurich ». S’ensuit alors un plan sur trois jeunes masqués (fig. 7) qui trinquent face à la caméra, mi-cocktail, mi-cocktail Molotov, puis un plan fixe sur un graffiti : « Züri brännt jetzt » (« Zurich brûle enfin ! », traduit le sous-titre). Or, photographier ce graffiti et l’insérer dans le film à ce moment précis revient à exposer le fait suivant : la légende en train de s’écrire s’écrit déjà sur les murs ! D’autres aspects « légendaires » tiennent à des propos prophétiques, ou apocalyptiques, qui sont essentiellement le fait du commentaire, on l’a dit10. Enfin, au moment de la plus grande tension du film, quand les deux camps sont plus sur les dents que jamais, le « drame » joue grâce au montage du « moment décisif », celui qui fait basculer le destin, créant une étrange suspension lors d’un appel de talkie-walkie entre le municipal en charge de la police et le policier responsable sur le terrain : le son est là, mais les plans sont presque fixes, faisant douter de l’authenticité du moment, mais le marquant comme « à part », et soulignant son « ici et maintenant ».

Forme mutante

Quant à la forme, plus encore qu’hybride, elle est, pourrait-on dire, mutante : cela dans l’axe diachronique de sa réception potentielle en termes de genre mais également dans un axe, si ce n’est synchronique, du moins intérieur au film. Le côté perçant et pénétrant des travellings du début, en effet, donne l’impression d’une sorte de dissection : tailler dans le vif, mettre en pièce le stable, trancher et séparer des bribes – qu’il y aura ensuite à recueillir, à remonter autrement, ou laisser de côté comme abats. Il y a bien un centre au film, mais il éclate rapidement en de multiples périphéries – selon un déroulement certes chronologique, mais qui à chaque fois lance des flèches hors de sa linéarité. Ce qui semble compter est le dynamisme (images de qualité assez pauvre, en succession rapide, qui ouvrent les formes – les plans ne durent pas) contre le lisse brillant, ennuyeux et durable d’une ville « inhumaine ». Il y a une urgence et un mouvement qui cherche à emporter toute fixation sur son passage… C’est un film non-inscrit, comme il y avait des pays « non-alignés ». Ce qui n’empêche pas le film d’être assez bien rythmé, que ce soit au niveau narratif (articulations, chronologie), sonore (répartition de la musique, de la voix, des bruits aussi, et des silences), ou du type d’images utilisées (archives ou prises sur le vif, fixes ou mouvantes). Car cette instabilité, ce flou, n’est pas une absence de forme : Züri brännt est aussi un film formel, structuré, bien que mouvant, tout comme le centre autonome qui « se structure immédiatement en groupes de travail », ou l’autonomie qui « passe de l’abstrait au concret ». Le commentaire glisse de la présentation à la prophétie, l’actualité du questionnement investit l’actualité télévisée, celle-ci est aussitôt citée comme une archive, l’écrit passe du papier au mur, le calme et la violence opèrent de fréquentes rocades, et, pour finir, lors de la fermeture du centre autonome, toute cette révolte se mêle à des images de Godzilla (Ishirô Honda, Terry O. Morse, 1956) au son de Züri brännt (morceau punk explosif du groupe TNT), avec feu craché et ville qui brûle (fig. 8). Le choix de Godzilla, film de la culture populaire relevant de genres alors déconsidérés (fantastique, horreur, science-fiction), est d’ailleurs une nouvelle marque d’opposition à la culture bourgeoise dénoncée, et, bien évidemment, l’aspect mutant du monstre fait écho à la forme mutante du film. La forme et le genre étant instables, la mutation devient alors un état en soi, propice à la recherche d’un « nouveau langage », qui ne veut pas se laisser réduire (même s’il emprunte à des codes et langages autres), ni même fixer : vers la fin, cette question d’une nouvelle langue, de nouveaux mots, d’une nouvelle voix est d’ailleurs explicitement thématisée11.

Or, en récupérant, recollant, remontant des bribes de provenances diverses, le film est déjà ailleurs que dans le présent : passé et avenir s’y déploient12, il y a l’archive et le « sens nouveau » (nouveau langage, dans le film). Et lors de l’appropriation excessive du discours répressif par des délégués du mouvement lors d’une émission de débats à la TV, ou quand, dans une étrange séquence mise en scène ( ?), un citoyen devant sa télévision, réagissant à cette émission à coups de propos incohérents et d’interpellations hors-champ (fig. 9), est comme contaminé par le mouvement, ou lorsqu’apparaît Godzilla, le film est déjà dans une sorte d’écriture de fiction, un récit qui emprunte au registre comique ou épique, autant que d’anticipation. En ce sens, on peut affirmer que Züri brännt, tourné et diffusé dans une urgence, a gardé une permanence qui s’inscrit déjà dans le corps du film. Son aspect mutant, sa mobilité en termes de genre, son format concourent à en faire un document fixé mais glissant. Il s’échappe. Et d’ailleurs, menacé de destruction des années plus tard du fait de la faible résistance au temps de la vidéo, il deviendra prioritaire dans la restauration, grâce, notamment, au soutien de la ville de Zurich… Ironie sous laquelle on retrouve la tension entre urgence et subsistance, entre film pour 1980 et film pour la postérité, qui traverse ce document de part en part. En outre, au moment d’être montré aux Journées cinématographiques de Soleure en 1981, il est complété d’un dossier très complet (disponible en pdf dans le dvd), qui témoigne non seulement d’un souci clair de défendre certains principes esthétiques et politiques, notamment par l’usage de la vidéo, mais encore de transmettre, de témoigner et d’influer, jusqu’à constituer sa propre archive (il intègre par exemple des reproductions de flyers des projections qui ont eu lieu précédemment)13. Comme s’il faisait sienne cette injonction, attribuée à Bertolt Brecht, qui clôt le film de Jean-Luc Godard Tout va bien (1972) : « Puisse chacun être son propre historien. Alors il vivra avec plus de soin, et d’exigence ».

Züri brännt, lui, se termine sur un plan d’hiver à la campagne, avec une sorte de constat d’échec, mais en laissant une grande ouverture : cette fin est une sorte de non-fin, un rendez-vous pris avec l’avenir. Le commentaire dit :

« L’hiver promet d’être long et glacial. Et pourtant ça continue. […] Aucune foire du livre, aucun festival de cinéma ne pourront ignorer le mouvement quatre-vingt. Les médias continueront à tout faire pour expliquer notre insatisfaction, pour l’assimiler, la neutraliser. […] Mais dehors, dans les rues froides et humides de Zurich, groupes grands et petits vont essaimer la trace de leur existence qui rappelleront indubitablement le langage d’un été chaud. Le murmure secret des sprays bruissera dans les passages souterrains. […] Des vitres seront brisées. On allumera de grands feux de joie. […] Des rires moqueurs figeront les visages des politiciens en une grimace stupide. […] Nous avons appris. Nous nous sommes connus. La ville entière est tissée de liens solides. Nous ne nous sentons plus seuls. Zurich, Lausanne, Bâle, Berne, Amsterdam, Brême, Hambourg, Stuttgart, Fribourg-en-Brisgau, Berlin, et puis… Zurich, toujours, et encore. »

Et aux remerciements ironiques à la police et à la ville de Zurich, à la fin du générique14, répondront, vingt-cinq ans plus tard, les remerciements pour la restauration du film et sa sortie en DVD : la boucle est bouclée. A la toute fin encore, après le générique, on entend une voix dire : « Je déteste les gens qui ne finissent pas ce qu’ils ont commencé ». Cette fois, c’est fait, trente ans après : Zurich ne brûle plus, mais beaucoup subsiste de ce brûlis, à commencer par… ce brûlot.

1 En 1977, les citoyens zurichois approuvaient l’achat de la Rote Fabrik, une usine désaffectée, pour devenir un centre social et culturel ouvert à la population, en particulier à la jeunesse. Trois ans après, le projet est au point mort. C’est la présentation d’un important crédit destiné à la rénovation de l’Opéra de Zurich qui met le feu aux poudres : le 30 mai 1980, dénonçant la culture bourgeoise largement subventionnée et l’absence de soutien à une culture plus alternative, une manifestation de jeunes est brutalement réprimée et dégénère en émeute. S’ensuivront des mois de manifestations et de répression, de revendications et d’incompréhensions, d’avancées et de reculades, relatés dans le film. Plus largement, la contestation s’en prend à des aspects urbanistiques, aux modes de vie, à la société, et s’inscrit dans une mouvance partiellement « anarcho-autonome ». Jusqu’en avril 1981, Zurich ne connaîtra aucun week-end de calme. La Rote Fabrik, elle, sera finalement réaffectée à la jeunesse en octobre 1980.

2 « […] c’est pourquoi, en amont de la mobilisation, il est absolument nécessaire que le mouvement dispose aussi en ce qui concerne les médias d’une infrastructure propre. » (nous traduisons). Citation tirée du dossier de presse, p. 20.

3 « […] cela n’avait simplement ni début ni fin, et le mouvement non plus. Züri brännt, ainsi, a eu besoin d’une fin qui n’en est pas une. Le film est maintenant terminé, mais Zurich brûle encore. C’est à peu près ainsi qu’on se représentait les choses. […] Je n’arrive plus à me rappeler pourquoi on a commencé justement à ce moment-là, mi-septembre. Ah si, en fait : le zoo était à nouveau fermé, le mouvement se manifestait à nouveau dans la rue, mais autrement, plus désespéré, avec un hiver froid et précoce qui tombait – le moment, enfin, nous poussait à couper, monter et projeter nos piles de bandes. » (nous traduisons). Extrait du dossier de presse, p. 22. A ce moment-là, le collectif Videoladen disposait pour le film de plus de 100 heures de matériau brut…

4 Même la NZZ, début 1981, en convient : « On a là un pamphlet par endroits remarquablement réalisé, qui, sans l’évaluer, renoue avec le modèle du cinéma révolutionnaire russe. Son emphase expressionniste et son attitude dadaïste du type ‹ choquer les bourgeois › ne sont pourtant pas le moins du monde intéressées à une transmission des informations un tant soit peu objective. » (nous traduisons). Cité par Stefan Hotz, « Es dauerte lange, bis Zürich brannte… », in Der Bund, 24.05.2000 (moment où le film est diffusé sur la télévision SF1).

5 J’utilise ici la version doublée en français, telle qu’elle se trouve sur le DVD. A noter que le DVD du film (disponible sur www.videoladen.ch) bénéficie là d’une édition tout à fait remarquable, avec de nombreuses annexes qui sont loin d’être des bonus-gadgets : historique du collectif Videoladen, courts métrages additionnels, photographies, dossier sur le film, etc.

6 Cela est d’ailleurs explicitement théorisé : « Nous voulions moins d’émotionnel que d’intellectuel, plus d’associatif que d’argumentatif, en reliant nos images par associations : ouvrir des écluses, déchirer de l’intérieur les chaînes d’images. Et aussi, ne pas user de symboles ou de métaphores, mais plutôt de combinaisons image/texte, qui se laissent discuter rationellement, sont fondées, mais laissent toujours un reste. » (nous traduisons). Extrait du dossier de presse, p. 22.

7 Notamment dans des associations de plans : par exemple quand une conseillère municipale de Zurich déclare à la foule : « Je le répète, nous sommes toujours prêts à entrer en matière », elle est huée, et suit un plan sur un Occidental, soldat ou colon, qui donne à manger à un Africain qui tend son assiette. Puis, lorsqu’elle dit que « le parti socialiste s’est toujours préoccupé de la jeunesse », le plan suivant montre un couple caressant un petit chimpanzé. Ou dans des formes de ridiculisation grossière de la parole de l’autorité, par exemple, dans l’extrait d’une émission de débat TV, quand intervient le responsable de police Rolf Bertschi : il commence à parler mais rapidement on n’entend plus qu’un orgue de barbarie. Ce qui est une forme de censure, équivalente mais inversée, à celle que dénonce le film, alors que laisser simplement cette parole se déployer aurait sans doute suffi à la miner – comme dans l’excellent La voix de son maître (Gérard Mordillat, Nicolas Philibert, France, 1978).

8 Le Sechseläuten est une fête traditionnelle zurichoise où défilent en costume la bourgeoisie et les corporations pour marquer la fin de l’hiver par la mise à feu solennelle du Böögg, le bonhomme hiver. A ce propos, il est intéressant de noter qu’un des sous-titres de Züri brännt est « Sandsturm in der Eiswüst », soit « tempête de sable dans le désert de glace ». La métaphore de l’hiver ou du froid polaire a été très souvent utilisée à cette époque par le mouvement et les milieux culturels pour qualifier la ville de Zurich et sa dure tristesse immobile (on en trouve d’ailleurs plusieurs exemples dans le film) jusqu’à, peut-être, se dénouer dans le fameux morceau du groupe Grauzone, Eisbär (Grauzone/Martin Eicher, 1981, paru à l’origine sur le 45t. Eisbär chez EMI/Electrola) : « Ich möchte ein Eisbär sein / im kalten Polar / dann müsste ich nicht mehr schrei’n, alles wär so klar / Eisbären müssen nie weinen… » (« J’aimerais être un ours blanc / dans le froid polaire / je ne devrais alors plus crier / tout serait si clair / les ours blancs ne doivent jamais pleurer »). Comme si, au fond, on ne pouvait faire confiance aux participants du Sechseläuten pour chasser l’hiver de la ville, mais que, par contre, on pouvait s’adapter au froid polaire…

9 « La manif la plus joyeuse, la plus expéditive, et la plus remarquée par la presse internationale que Zurich ait jamais vue », dit le commentaire.

10 Au moment de l’obtention du centre autonome, le commentaire dit par exemple : « Nous célébrons aujourd’hui le tragique effondrement du palais du Crédit Suisse. Notre alliée l’herbe folle envahit les décombres de la Paradeplatz. ».

11 « Le nouveau langage prend forme. Des mots nouveaux, des symboles multicolores ruissellent pour la première fois dans les canaux desséchés des mass-media suisses. D’abord, à mi-voix, des nouvelles en code. Mais après, lors de l’émission Telebühne, le mot « refus » vient se camper dans le ciel immaculé des médias », dit le commentaire.

12 Il y a d’ailleurs, on l’a dit, un rapport aux générations précédentes et à venir, une sorte de conscience historique, et pas seulement un vécu « au jour le jour ».

13 « Le film devait, idéalement, être plus tard non pas une première analyse mais une source directe, une auto-représentation de nous, membres du mouvement. Cela signifiait aussi : ne pas expliquer, transmettre, vouloir éveiller la sympathie, mais plutôt faire le film seulement pour nous. » (nous traduisons). Extrait du dossier de presse, p. 22.

14 « Nous remercions encore la police de la ville de Zurich pour son soutien frappant, ainsi que le conseil municipal pour sa volonté commune. » (nous traduisons).