Charlotte Bouchez, Nicolas Brulhart

Faire l’histoire du FIFF, questions de méthode pour un objet instable

Cette année 2011 aura été l’occasion d’assister à la 25e édition du Festival International de Films de Fribourg (FIFF). Si la manifestation peut donner lieu à divers commentaires, cet article ne prétend pas rendre compte de ce qui s’y est passé cette année. Dans une perspective différente, il s’agit de dégager les principaux éléments qui permettent que cette édition soit considérée dans la continuité des précédentes, de chercher à construire une certaine histoire du festival. Cet article participe également de l’intérêt de plus en plus grand pour ce genre d’objets dans le domaine des études du cinéma et de ses manifestations1.

Un festival est par définition un objet en perpétuelle recherche d’actualisation. Cet aspect, manifeste dès les débuts du Festival de Fribourg dans ses discours internes, comme les éditoriaux qui présentent systématiquement l’édition en cours en regard des précédentes, s’est renforcé à la faveur du changement de direction qui a conduit Edouard Waintrop à prendre en charge la manifestation en 2007 et se reconfigure cette année, dans la perspective de l’entrée en fonction de Thierry Jobin. Ces discours, s’ils nous informent sur ce qu’a été le Festival, aident également à comprendre son état actuel, et l’image dont il veut se doter. Témoignant des stratégies de conservation et d’adaptation du Festival, cette (ré)écriture du passé doit être comprise en parallèle avec d’autres éléments dont, entre autres, les transformations structurelles des catégories de la programmation (en particulier en ce qui concerne la catégorie dite « Films du Sud »), l’occupation stratégique des espaces médiatiques de communication et l’occupation concrète des espaces dans lesquels se déroule le Festival. Cet article est l’occasion de chercher à décrire cette lente évolution pendant laquelle l’ancien Festival des films du Sud, devenu FIFF, a progressivement glissé d’un discours cinéphilique engagé vers une cinéphilie que nous qualifierons de globale2.

Le festival, être discursif

La simple mention de l’objet étudié en ces termes (« faire l’histoire du FIFF ») nous a d’emblée paru un premier élément à interroger. Ainsi, pour faire l’histoire du FIFF, il faut se demander si celui-ci peut être pensé dans la continuité du « Festival de films du Tiers-Monde », nom sous lequel le Festival était désigné lors de sa création en 19803. Comme l’indique implicitement cette interrogation sur la désignation, une des conditions de possibilité essentielle d’un tel objet (le festival) est produite par les discours qui encadrent l’événement dans la presse, mais aussi ceux que le festival produit lui-même, notamment de manière exemplaire dans l’éditorial de ses catalogues. A un premier niveau, il faut constater l’effet que ces discours produisent par le simple fait de mobiliser des dénominations qui renvoient à une instance unifiée (le syntagme « le festival de Fribourg » renvoie à cette dimension) : existant comme un désignatif opérant dans le discours, le festival peut-être saisi comme un référent cohérent dans le monde « réel ». A un second niveau, ces mêmes discours participent de deux stratégies : exposer les marqueurs caractéristiques du festival en comparaison avec d’autres institutions4 définies par des activités proches et le singulariser dans cet ensemble (dialectique altérité/identité) ; établir ces marqueurs dans une continuité temporelle, chaque nouvelle édition étant inscrite dans la continuité de la précédente par rapport à laquelle elle présente des similitudes mais aussi des divergences qui fondent son caractère de « nouveauté »5. Dans ce sens, le festival peut-être considéré comme un « être de discours »6.

Discours de type « ANT » : les acteurs (humains et non-humains)

Si cette attention au discursif permet de dégager certains éléments pertinents pour approcher théoriquement un tel objet, elle ne prend pas en compte le fait que le festival est également le résultat d’un ensemble d’actions qui concourent à son existence, les discours n’étant finalement que les produits de certaines de ces activités. Dans son ouvrage consacré à l’étude des festivals de cinéma7, Marijke de Valck développe une approche théorique qui s’inspire notamment des travaux de Bruno Latour et de la théorie de l’acteur-réseau (Actor Network Theory, ou ANT)8. Celle-ci permet de ressaisir ces différents aspects en produisant une description cohérente d’un objet relativement évanescent. Un festival, plus qu’une manifestation événementielle qui n’en formerait que la pointe émergente (l’épiphénomène), est un composé complexe qui intègre aussi bien des objets concrets que des entités abstraites. Il se constitue d’un certain nombre d’objets tangibles, comme, pour n’en énumérer que les plus saillants : un catalogue, des films, des lieux qui l’accueillent ; de personnes, aussi bien l’équipe organisatrice, que le(s) public(s) et les invités – qu’ils soient critiques, producteurs, acteurs ou cinéastes ; et d’un certain nombre d’énoncés, que ceux-ci concernent la classification des films, leur nombre, les critères qui ont présidé à leur sélection et qui fonctionnent comme les marqueurs identitaires (voire identifiants) du festival, les prix, mais aussi les discours diffusés dans la presse non spécialisée, l’apparat publicitaire des sponsors et du festival lui-même, etc.9.

Si l’approche théorique du réseau est éclairante, il convient d’en préciser deux caractéristiques : premièrement, le réseau ne peut pas être assimilé à une structure préétablie dans laquelle s’intégreraient les personnes (directeur, journalistes, cinéastes, publics…). Il s’agit davantage d’un système de relations de proche en proche entre différents acteurs, qui vont en partie déterminer leur action par le fait d’appartenir à ce réseau mais aussi en fonction du contexte singulier dans lequel ils sont situés et de leur propre perception de ce contexte10. Ainsi, chacun des acteurs met en place des stratégies par le biais desquelles il se positionne par rapport aux autres ainsi qu’aux objets et aux réalités sociales qu’il perçoit. De plus, les acteurs qui constituent ce réseau n’ont pas tous la même importance. La figure du directeur occupe par exemple un statut privilégié dans la construction de l’identité du festival : énonciateur privilégié des discours qui renvoient à l’identité du festival, il est également celui qui est tenu pour responsable et doit répondre de la sélection des films qui forment le contenu identifiable du festival.

La deuxième précision qu’il convient d’ajouter au sujet du réseau concerne le fait que celui-ci se modifie dans le temps, ses éléments les plus mobiles étant évidemment les films. Ces derniers se déplacent entre des endroits topographiques au sein du festival, mais aussi entre des espaces institutionnels et des sphères de légitimation dont le festival ne constitue que l’un des passages. Le festival est ainsi situé au carrefour de deux échelles : celle de la réception locale ou régionale, point d’ancrage à partir duquel est évaluée la question du caractère inédit des films, et celle de leur circulation internationale. Inscrit dans le circuit de diffusion des films, le festival peut s’investir au niveau de la production et de la distribution de ces derniers.

A cette modélisation, qui place le festival au sein d’un réseau international, il convient d’ajouter une précision qui concerne l’agencement spatial de la manifestation elle-même. Relevons ainsi une évidence : le festival est aussi le lieu où se regroupent les festivaliers pour voir des films qui seront proposés. Le cadre dans lesquels les films sont vus fait partie des dimensions concrètes du festival (et des marqueurs identifiants pour ceux qui s’y rendent) et résulte des intentions des organisateurs en la matière11.

Le festival des films du Tiers-monde

L’ancrage local du festival est particulièrement déterminant dans le cas du FIFF. Celui-ci est d’abord conçu pour répondre à une carence vécue par ces instigateurs dans la situation du cinéma « non-hollywoodien »12 en Suisse. Le « Festival des films du Tiers-Monde » doit ainsi permettre de favoriser la réception de ces cinématographies13 « invisibles » auprès des spectateurs romands. L’ouverture sur des productions culturelles de ces pays a pour objectif de provoquer une prise de conscience politique des conditions de vie qui prévalent dans ces pays et des rapports de force géopolitiques dans lesquels ils sont inscrits14.

D’autre part, le Festival se pose dès sa création comme un acteur dans le circuit de distribution des films d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud, dont il doit permettre de faire la promotion et de favoriser la distribution en Suisse. Un prix d’aide à la distribution est créé à ces fins en 1986. Le partenariat avec Trigon-films s’inscrit dans une perspective similaire, les deux institutions poursuivant des buts communs à cet égard. Une seconde dimension du lieu concerne les relations du Festival avec d’autres acteurs locaux, en particulier en termes d’impact sur l’exploitation. Le fait qu’un film se voie décerner un prix augmente ses chances d’être distribué en salles. La familiarisation des spectateurs avec des cinémas d’ailleurs peut inciter les exploitants à programmer ce type de films au sein de leur espace15.

Le FIFF attribue ainsi au cinéma une fonction que l’on pourrait qualifier de doublement émancipatoire. Il revendique cette fonction émancipatrice du dispositif cinéma pour le spectateur occidental, mais aussi pour le développement des cinématographies du Sud. Cependant, le risque, souligné par de Valck, est de produire un effet pervers au niveau de la production dans les pays concernés, en promouvant des films dont l’évaluation qualitative s’opère en fonction de critères liés à la tradition cinématographique occidentale16.

Du festival des films du Tiers-Monde au FIFF

Education locale par le cinéma, engagement dans la promotion du cinéma du Sud en tant qu’elle doit permettre de changer le contexte de distribution de ces films en Suisse, réflexion sur le cinéma comme instrument d’émancipation des peuples du Sud par la création d’une culture autonome dégagée des modes de production et de représentation occidentale ; ces différents aspects qui fonctionnent comme les marqueurs de l’identité du Festival se maintiennent pendant la vingtaine d’années où Martial Knaebel dirige le FIFF, et ceci au-delà des remaniements structurels liés à sa croissance progressive. Par contre, dès la fin des années 2000, on assiste à de progressives transformations de l’articulation de ces marqueurs entre eux, réorganisation témoignant d’une forme de « crise » du Festival. Ces changements doivent être saisis en relation avec des changements sociaux et culturels extérieurs au seul domaine du cinéma. Le Festival semble dès lors opérer une forme d’adaptation à ces évolutions.

En effet, la notion de « Sud », fondée à l’origine sur une dichotomie Nord-Sud, où le Sud désigne des pays caractérisés par le manque de moyens dans l’autonomisation culturelle, économique, et politique, semble devoir être repensée17, pour ne plus renvoyer à un partage géographique mais à une catégorie sociologique18. L’opposition Nord-Sud perdant de sa pertinence, le Festival, qui définissait son identité sur ce partage, doit redéfinir son contenu.

Dans le même sens, si Fribourg a pu être considéré comme un des lieux privilégiés d’information sur les réalités de ces pays, mais aussi de construction d’une réflexion politique sur le rôle que les spectateurs/citoyens romands peuvent jouer, l’augmentation de l’accès à l’information mais aussi des formes d’engagement politiques (forums sociaux par exemple) sur ces problématiques participe à cette perte de pertinence de la manifestation.

La structure de l’exploitation et de la distribution dans la région romande doit aussi être prise en compte pour comprendre le changement de formule du FIFF. Outre leur distribution dans les réseaux des salles grâce à des distributeurs comme Trigon Films, les cinématographies labélisées « du Sud » ont trouvé dans les supports comme le dvd une ressource considérable pour augmenter leur visibilité.

Le festival comme réseau dans un réseau 

Une troisième hypothèse, complémentaire, doit encore être considérée. A ces transformations de l’agencement géopolitique, mais aussi des supports et des modes de consommation du cinéma, qui déplacent progressivement la pertinence du FIFF, s’ajoute un facteur qui opère plus particulièrement au niveau national ou local et qui concerne notamment son mode de financement et sa relation aux autres événements « cinéphiliques ». Si le FIFF a dû constituer son identité en créant un réseau de partenaires, il a cependant pu maintenir une certaine autonomie financière et politique. Cette volonté d’autonomie s’associait à une forme d’amateurisme du Festival. Cependant, en 2007, le FIFF est soumis à d’importantes coupes budgétaires, qui, accompagnant une nouvelle politique d’évaluation des festivals au niveau de l’Office fédéral de la Culture, sanctionnent sa perte de popularité. Il semble que l’association du Festival avec la notion d’aide au développement et sa vision politisée du monde soient finalement devenues des freins à son expansion et à son intégration en tant qu’entreprise dans le secteur régional, en particulier pour ce qui concerne la possibilité de toucher un large public.

Ces décisions politiques, et l’orientation qu’elles indiquent pour le FIFF, se sont manifestement répercutées dans les discours du Festival19. A la dominance discursive du motif de l’engagement succède celui de la multitude. A cet égard, il est intéressant d’observer l’évolution des couvertures du catalogue du Festival, qui passent d’une topique de la caméra-œil qui regarde le monde à une image abstraite et kaléidoscopique20 (fig. 1-5). D’un schéma discursif marqué par l’association de la notion de cinéphilie avec celle de l’engagement politique dans un discours souvent imprégné du ton de la critique sociale marxiste bipolarisée où les médias de masse et l’industrie culturelle s’opposent à l’émancipation des peuples en les aliénant, le discours officiel du FIFF a glissé vers une forme de cinéphilie plurielle dont la notion d’engagement ne forme plus qu’un concept parmi d’autres. Si, dans un premier temps, la notion de « cinéma du Sud » cohabitait avec la construction de la figure de l’auteur en excluant les productions du cinéma dominant à gros budget, nous sommes actuellement plus proches d’une situation où cohabitent le premier, le deuxième et le troisième cinéma : le discours d’auteur, le discours engagé et le discours culturaliste ou anthropologique s’articulant de diverses manières pour donner naissance à une cinéphilie « soft ».

Ce changement d’orientation s’est traduit dans la programmation. Ainsi, si les panoramas et les rétrospectives ont toujours existé au FIFF, ils s’organisaient dans un premier temps essentiellement autour de critères géographiques (nationaux) ou auteuristes. On assiste depuis l’arrivée d’Edouard Waintrop en 2008 à l’ouverture du Festival aux films de genre. Le FIFF accueille aussi un nombre de plus en plus important de films qui ne concernent pas au premier chef les questions géopolitiques et culturelles. La sélection de l’édition 2011 témoigne de cette tendance puisqu’y sont proposés aussi bien un blockbuster (Aftershock de Feng Xiaogang), de « petits films d’auteur » que du cinéma marginal engagé (panorama consacré au cinéma malaysien intitulé Da Huang Network). La question de l’origine culturelle des films intervient de plus en plus comme un second critère, voire est évacuée dans certains cas (Gloria de Cassavetes).

Au niveau de la médiatisation s’opère une stigmatisation de la politisation trop frontale qu’a(urait) menée le Festival par le passé. On assiste, dans les discours, à une transformation des concepts associés à la notion de cinéphilie qui permet de caractériser le Festival (a posteriori) par une programmation qui reposerait sur une scission du contenu et de la forme du film :

« Le FIFF, ancien bastion de la bonne conscience où les films étaient choisis d’abord pour leur contenu, ancien Festival de films du Tiers-monde né dans une cure, ancien Festival de films du Sud, est devenu cinéphile sous l’impulsion d’Edward Waintrop. Il se préoccupe depuis deux ans de la forme mais aussi du plaisir. »21

Reposant sur une structuration de l’histoire du Festival en « avant/après » dont la validité est pour le moins discutable, ce type de discours active une définition de la cinéphilie où celle-ci est opposée à l’engagement politique et associée à l’esthétique. Aussi – et cela forme un ensemble cohérent –, l’intérêt que le Festival porte à son public, non plus en des termes issus d’une pensée moderne de l’émancipation, mais en relation avec le plaisir de la consommation, c’est-à-dire de la distraction, disqualifie le cinéma engagé en le qualifiant d’ennuyeux. Il semble pourtant possible de penser ces différentes tendances dans une perspective commune, en recherchant des œuvres qui satisfassent la recherche de distraction et de satisfaction esthétique du public romand tout en lui permettant d’avoir une meilleure connaissance des rapports de force et des réalités sociales qui prévalent dans les parties du monde qu’il ne connaît pas (ou peu), ainsi que dans son propre pays.

Alors que cet article prétend retracer l’histoire du FIFF, nous sommes restés volontairement vagues quant à la périodisation. Plutôt que d’indiquer des moments précis de rupture, nous avons voulu suggérer un glissement progressif qui implique une réarticulation permanente des acteurs entre eux, notamment en ce qui concerne le glissement du discours du Festival d’une posture de revendication politique vers l’adaptation aux attentes présumées du public romand. Si le FIFF a ainsi certainement perdu en singularité, il a cependant gagné en popularité, dans une dialectique sourde où l’on donne au public ce qu’on croit savoir qu’il veut.

Un travail plus détaillé pourrait être entrepris au sujet de l’histoire du Festival et des interactions entre ses nombreux acteurs autour de notions-clés comme celles de « films du Sud », « cinéphilie », « Tiers-Monde », « cinéma dominant ». Il faudrait chercher à comprendre de manière plus approfondie comment ces marqueurs sont utilisés, par quels acteurs et à quel endroit du réseau, tout en étant attentif à l’évolution de la structure concrète du Festival. La question « Comment faire l’histoire d’un festival ? » que nous posions en introduction de notre article trouve une de ses solutions dans l’articulation d’une analyse des discours avec une perspective qui considère le festival comme un dispositif donnant lieu à une tension entre une forme d’ouverture (de relation au cinéma et au monde) et une volonté de définition « autopoétique ».

La rencontre avec Martial Knaebel, dont les propos suivent cette introduction théorique, aura été l’occasion d’approfondir ces questionnements sur l’identité du Festival, en particulier quant au statut du directeur artistique dans la construction et la pérennisation de celui-ci, ainsi que sur le rôle qu’entend(ait) lui faire jouer cet acteur de la scène culturelle romande.

1 L’étude des festivals de cinéma est un domaine qui connaît depuis quelque temps un certain essor dans le champ académique. En ce qui concerne le cas précis du Festival de Fribourg, nous pouvons renvoyer au mémoire de licence de Lorenza Saglini (Lorenza Saglini, Festival International de Films de Fribourg : genèse, évolution et rayonnement international (1980-2000), mémoire de licence en Histoire, Université de Fribourg, 2006), qui contient de nombreuses informations factuelles sur l’histoire de la manifestation.

2 Nous reprenons ici le titre de l’ouvrage de Marijke de Valck, Film Festivals, From European Geopolitics to Global Cinephilia, Amsterdam, Film Culture in Transition, Amsterdam University Press, 2007.

3 Si nous choisissons d’aborder la problématique de l’identité du Festival selon l’angle de l’analyse des discours, une interrogation similaire aurait pu porter sur l’évolution de sa structure concrète : le Festival des films du Tiers-Monde est, pendant ses deux premières éditions (1980 et 1983), un circuit organisé entre des salles et ciné-clubs de la région romande dans lesquels est projeté un programme sélectionné pour l’occasion (sept films lors de la première édition et dix-huit pour la seconde). Le Festival ne s’installe à Fribourg qu’en 1986, et réduit sa durée à une quinzaine de jours. Les changements de rythme (passage à une périodisation annuelle en 1992), d’agencement dans le calendrier saisonnier, mais aussi de modes de financement sont autant d’éléments conduisant au questionnement que nous proposons de mener ici.

4 Le festival revendique un certain rôle dans l’économie du cinéma – cet aspect peut d’ailleurs poser problème dans le processus d’identification : on peut l’assimiler à une cinémathèque, ou encore à un exploitant de salles. Les discours permettent alors de préciser ces activités comme des fonctions sociales et culturelles, et contribue à légitimer l’existence d’un tel acteur institutionnel. Comme le montre Marijke de Valck (op. cit.), le festival est souvent identifié par ses fonctions caractéristiques, et évalué en regard du respect de celles-ci (nous renvoyons aux propos de Martial Knaebel avec lequel nous avons pu discuter de cette différence/similarité entre cinémathèque et festival).

5 Voir à ce propos l’article de Candeloro et Cucco consacré au festival de Locarno (Jean-Pierre Candeloro et Marco Cucco, « Cinéma, festivals et retombées culturelles. Le cas du festival de Locarno », dans Alain Boillat, Philipp Brunner, Barbara Flückiger (éd.), Cinéma CH. Réception, esthétique, histoire, Marburg, Schüren (coll. Réseau/Netzwerk Cinema CH, 2008). Placé dans une perspective d’étude économique des impacts du festival sur la région, l’article utilise plusieurs types de matériaux dont des interviews de spectateurs. Il ressort de l’examen des réponses des personnes interviewées que la notion d’image du festival, à l’aune de laquelle les festivaliers vont juger la teneur de l’édition en cours, constitue un paramètre déterminant. Cette question de l’identité du festival pour les festivaliers n’est pas développée dans notre article, si ce n’est à travers la problématique de la désignation. Nous avons choisi de traiter davantage de la vision et du rôle du directeur artistique dans la construction de cette identité.

6 Des marqueurs pertinents pour la constitution de l’identité du FIFF apparaissent rapidement : « Films du Sud », « cinéphilie », « non commercial », « développement ».

7 Marijke de Valck, op. cit.

8 Voir notamment Bruno Latour, Changer de société, refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, 2007.

9 Si nous reprenons ici la terminologie de l’ANT, la modalisation en dispositif, développée notamment par François Albera et Maria Tortajada, aurait pu être également envisagée. Voir notamment : François Albera, Maria Tortajada (éd.), Cinema Beyond Film, Media Epistemology in the Modern Era, Amsterdam, Film Culture in Transition, Amsterdam University Press, 2010.

10 « Elle [la théorie de l’acteur-réseau] a pour principe que ce sont les acteurs eux-mêmes qui font tout, même leurs propres cadres explicatifs, leurs propres théories, leurs propres contextes, leurs propres métaphysiques et même leurs propres ontologies… » (Bruno Latour, op. cit., p. 213).

11 A cet égard, on peut relever le « déménagement » du FIFF dans le nouveau multiplexe Cap’Ciné, dont l’association avec la cinéphilie semble moins évidente que dans le cas du Rex ou des anciens Corso et Alpha, qui constituaient les principales salles indépendantes de la ville.

12 Le terme est à attribuer à Martial Knaebel (voir l’entretien à la suite de cet article).

13 A ce titre, le festival peut être envisagé comme un acteur déterminant dans la construction de cinématographies nationales. Ainsi, construire un panorama dédié à la nouvelle vague taïwanaise participe à donner consistance à une telle appellation (en regroupant les films qui peuvent s’inscrire dans un tel mouvement, en caractérisant le mouvement en question par des dates, des partis pris formels, politiques, etc.).

14 En introduction au catalogue de la 6e édition du Festival de Films du Tiers-Monde, on trouve ce texte : « Le Festival de films du Tiers-Monde a pour but de soutenir les cinématographies des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine en favorisant une meilleure distribution en Suisse d’œuvres importantes et de faire connaître, par le cinéma, des cultures, des modes de vie, des mentalités différentes, des œuvres culturelles qui échappent aux circuits habituels de diffusion. »

15 Martial Knaebel évoque cet effet du Festival sur la situation du cinéma au niveau local et renvoie à une certaine responsabilité morale à cet égard : considérant le FIFF comme une occasion de montrer au public de la région des films qui ne sont habituellement pas (ou peu) diffusés dans les salles, il postule que celui-ci peut avoir un impact sur les attentes du public en augmentant l’intérêt pour des films de « qualité » et politiquement engagés, faisant ainsi pression sur les exploitants afin qu’ils satisfassent la demande ainsi créée.

16 Martial Knaebel souligne ce fait dans l’éditorial du catalogue de 2006 pour la 20e édition du festival : « Le cinéma de ces contrées ‹ périphériques › a donc commencé à se ‹ vendre ›, et sa fréquentation est entrée dans les mœurs. Au point d’ailleurs qu’on y cherche les mêmes repères et les mêmes écritures que dans le cinéma occidental ou, pour être plus optimiste, qu’on a cessé de considérer ces œuvres uniquement sous l’aspect réducteur des ‹ films du Tiers-monde ›. Mais cette évolution est-elle réellement positive ? La question mérite d’être posée. » (Catalogue du Festival International de Films de Fribourg 2006, p. 13). En conclusion de son ouvrage, de Valck souligne ce paradoxe : « Le réseau des festivals offre-t-il le mode d’exposition dont les cinémas du monde ont besoin en leur offrant une visibilité internationale, en prenant parti pour leurs problématiques sociopolitiques sous-représentées ou censurées, en offrant une tribune à des minorités identitaires au sein d’événements où les artistes seraient libres de s’exprimer ? Ces démarches freinent-elles l’autonomie de ces cinématographies vulnérables d’un point de vue économique en s’appropriant leurs réussites et en en faisant des découvertes de festivals, sanctionnant ainsi les œuvres internationalement appréciées en en faisant des modèles pour la production nationale ? » (De Valck, op. cit., p. 215) [notre traduction].

17 Les phénomènes migratoires et économiques liés à la mondialisation économique et culturelle sont à l’origine de cette nécessité de proposer une approche qui prenne en compte les disparités existant à cet égard au sein même des pays « développés ».

18 Reprenant les propos de Martial Knaebel, on parlerait dès lors de « Sud sociologique ».

19 Voir l’éditorial du Catalogue du Festival International de Films de Fribourg 2008, « Rupture et continuité », p. 12. Il se dégage de ce texte de Ruth Lüthi, présidente du festival, une impression de pression externe. Le budget alloué au festival par l’OFC ayant baissé cette année, le discours met l’accent sur « l’augmentation de la notoriété du festival », et sur « les efforts consentis pour acquérir des sponsors privés ».

20 Cette évolution traduirait un changement de paradigme, où la modernité du cinéma, en tant que réflexion sur les composantes essentielles de celui-ci (telles que la caméra et l’œil), laisserait la place à une approche privilégiant, de manière décomplexée, sa finalité attractive et distrayante.

21 Thierry Jobin, « Fribourg redéfinit l’intitulé ‹ films du Sud › », Le Temps, 13 Mars 2010, www.letemps.ch (consulté le 10 juin 2011).