Konstantinos Tzouflas

Le Nouveau cinéma argentin à la Cinémathèque suisse*

La première projection de Pizza, birra, faso (Pizza, bière et cigarettes, Adrián Caetano et Bruno Stagnaro, Argentine, 1997) au Festival international du film de Mar del Plata et, deux ans plus tard, le triomphe de Mundo grúa (Pablo Trapero, Argentine, 1999) au Festival international du cinéma indépendant de Buenos Aires (BAFICI)1 ont marqué les esprits et la mémoire cinéphilique en Argentine. A l’époque, leur succès critique a fait naître l’espoir d’un renouveau dans la production cinématographique de ce pays latino-américain ; avec le recul du temps, cet espoir n’est pas resté vain. En effet, dans les années qui suivent, des films comme La Ciénaga (Lucrecia Martel, Argentine/France/Espagne/Japon, 2001), El Bonaerense (Pablo Trapero, Argentine/Chili, 2002) et El Abrazo partido (Daniel Burman, Argentine/France/Italie/Espagne, 2004) susciteront l’engouement de la critique et du public, obtenant des prix dans plusieurs festivals internationaux (fig. 1). Certains datent l’apparition de cette nouvelle vague à la sortie de Historias Breves I (Brief Tales I, Argentine, 1995), série de courts métrages tournés par de jeunes cinéastes, tandis que d’autres remontent plus loin dans le temps, qualifiant Rapado (Martin Rejtman, Argentine, 1992) comme le prédécesseur de ce qui restera connu comme le « Nouveau cinéma argentin »2. Sous cette appellation – qui favorise les allusions à d’autres mouvements, écoles, voire tendances cinématographiques développés dans des pays et des époques différents3 – se trouvent regroupés non seulement des cinéastes et leurs films, mais aussi de nouvelles pratiques de production et de distribution. A l’occasion de l’hommage que la Cinémathèque suisse lui a rendu au début de l’année 2018 par le biais d’une rétrospective, nous proposons de revenir sur le Nouveau cinéma argentin afin de retracer son récent développement historique. Notre article situera cette nouvelle vague dans le contexte socio-économique de l’Argentine, en examinant l’influence de la crise financière sur les pratiques et l’esthétique adoptées par les jeunes cinéastes. Enfin, un examen succinct de la réception internationale de leurs films nous permettra de mieux évaluer leur importance à l’échelle mondiale.

Le Nouveau cinéma argentin et la crise économique

Située dans une période de grande instabilité pour la société argentine (1998-2002), l’éclosion de ce nouveau cinéma peut paraître à première vue surprenante. Frappé par une crise des dettes souveraines en 19984, le pays se voit obligé, sous la pression du Fonds monétaire international (FMI), d’appliquer des mesures d’austérité budgétaire dans l’espoir de contrôler le déficit public et de rétablir la confiance du marché. En échange de ces mesures, un soutien financier lui est accordé. Or, la situation ne s’est guère améliorée et, en décembre 2001, une « course aux guichets »5 a eu lieu. Dans un effort de mettre fin à la fuite des capitaux, le ministre de l’Economie, Domingo Cavallo, ordonne un large éventail de contrôles sur les opérations bancaires, connus sous le nom de « corralito ». En même temps, le taux de chômage atteint 20,8 % et le PIB chute de près de 20 % entre 1998 et 20026, deux indicateurs qui attestent la forte incidence de la crise sur l’économie et la population locales. Ainsi, sous ces conditions, la question ne manque pas de se poser : comment cette génération a-t-elle pu revitaliser le cinéma national ?

L’adoption en 1994 d’une nouvelle loi sur le cinéma fournit une première réponse à cette question. Ses articles introduisent « une taxe sur la télédiffusion des films et les locations de vidéos. En plus, les recettes en provenance de la diffusion de films en salle allaient être restituées à la production cinématographique »7. L’application de cette loi a joué un rôle fondamental dans la stabilisation de la production financée par l’INCAA (Institut national du cinéma et des arts audiovisuels) ; c’est grâce au soutien de ce dernier qu’un grand nombre de films du Nouveau cinéma argentin – dont Pizza, birra, faso – ont pu être réalisés8 (fig. 2). Une deuxième réponse se trouve du côté de l’Education. Depuis le début des années 1990, on assiste à l’apparition de nouvelles écoles de cinéma dans lesquelles se forme la jeune génération des cinéastes ; l’Université de Cinéma (Universidad del Cine – FUC), fondée en 1991, reste la plus connue ainsi que la plus intimement liée au Nouveau cinéma argentin. Lisandro Alonso, Albertina Carri, Pablo Trapero et Bruno Stagnaro ne sont que quelques-uns des cinéastes de cette nouvelle vague qui ont été étudiants à la FUC. Rappelons par ailleurs que ce ne sont pas seulement les réalisateurs en herbe qui ont pu bénéficier de nouvelles possibilités de formation, mais aussi les futurs techniciens et producteurs de l’industrie cinématographique argentine.

Le Nouveau cinéma argentin et les festivals

Le succès de plusieurs films de jeunes cinéastes argentins dans les festivals internationaux a également contribué à la reconnaissance et à la consolidation de ce nouveau cinéma. Citons en guise d’exemples Mundo grúa, qui remporte en 1999 les prix Anicaflash et Cult Network au Festival international du film de Venise et en 2000 le prix Tiger au Festival de Rotterdam, La Ciénaga, couronné du prix Alfred Bauer au Festival de Berlin en 2001, et El Abrazo partido, qui obtient le Grand Prix du Jury (Ours d’argent) du même festival trois ans plus tard. Les effets de ces récompenses sur le cinéma argentin ont été multiples et non négligeables. En plus d’une reconnaissance artistique indéniable pour cette jeune génération de cinéastes, elles ont contribué à l’édification d’une « école » cinématographique propre à ce pays latino-américain, voire d’une « Nouvelle Vague ». La « découverte » de tels mouvements est historiquement un des objectifs des festivals de cinéma qui ne cessent de se réapproprier le concept de « nouvelle vague » dans leurs stratégies discursives, et ce depuis son représentant archétypal, la Nouvelle vague française9.

De fait, les distinctions individuelles des cinéastes ainsi que la légitimation de la Nouvelle vague argentine en tant que telle ont produit des résultats très concrets. Elles ont facilité la sélection de films ultérieurs dans plusieurs festivals (plus ou moins renommés) à travers le monde, ont permis la distribution de certains d’entre eux à l’échelle internationale et ont inspiré l’organisation d’hommages et de rétrospectives sur le Nouveau cinéma argentin dans des festivals et d’autres institutions prestigieuses (à l’instar du Festival de Cannes et de la Cinémathèque suisse). On ne saurait trop insister sur l’importance de ces facteurs, notamment depuis les années 1990 qui contribuent, d’après Thomas Elsaesser, à une vaste expansion des « réseaux de festivals de films »10. Il est désormais difficile, voire carrément impossible, pour un film venant d’un pays « périphérique »11 de bénéficier d’une distribution étendue, s’il n’a pas auparavant été récompensé ou, au moins, sélectionné dans le circuit annuel des festivals. A cet égard, il n’est pas anodin que sur les affiches des films du Nouveau cinéma argentin, les symboles des festivals s’accumulent, manifestation explicite d’une stratégie visant à assurer à ces productions la plus grande visibilité possible.

Du côté de la production

L’invention et la mise en place de nouveaux modes de production et de distribution, peu conventionnels, constitue également un trait définitoire du Nouveau cinéma argentin. On l’a compris, la récession économique a eu un impact majeur sur l’industrie cinématographique du pays. Suite à la crise des dettes des années 1990 et aux mesures d’austérité qui en ont découlé, le financement étatique de la production filmique s’est trouvé réduit. Par conséquent, et en réaction à cette réalité peu favorable à leurs ambitions, plusieurs jeunes cinéastes ont fini par tourner leurs films avec des budgets dérisoires, en s’appuyant sur de réseaux d’amitiés qui assuraient une main-d’œuvre gratuite. C’est ainsi, par exemple, que le premier long métrage de Pablo Trapero, Mundo grúa, a été réalisé avec une équipe d’amis travaillant sans rémunération durant les week-ends.

Cependant, les jeunes cinéastes argentins ont vite été obligés de chercher de nouveaux instruments transnationaux de financement, comme les coproductions avec des sociétés internationales, les différents fonds étrangers à l’instar de « Visions Sud Est » (Suisse) et « Aide aux cinémas du monde » (France), ou encore des institutions telles que le Centre National de cinéma et de l’image animée en France (CNC). L’exemple du fonds « Aide aux cinémas du monde » (appelé, jusqu’à 2011, « Fonds Sud Cinéma ») est caractéristique : il s’agit d’un soutien financier mis en place par le CNC dans l’intention explicite d’aider les cinéastes des pays du Sud à achever leurs films12. Adoptant comme objectif officiel la promotion de la « diversité culturelle », ce fonds a effectivement soutenu plusieurs cinéastes argentins, tels que Pablo Trapero et Lucrecia Martel, dans leurs premiers projets. De la même manière, le texte programmatique de « Visions Sud Est » précise ses objectifs : le fonds « soutient des productions cinématographiques en provenance d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Europe de l’Est, améliore leur visibilité dans le monde entier et garantit leur diffusion en Suisse »13 ; à partir de 2005, plusieurs films argentins ont pu bénéficier de cet instrument.

En outre, les festivals de films, entrés depuis les années 1980 et de manière progressive dans le domaine de la production cinématographique, ont constitué une nouvelle source de financement alternatif pour les cinéastes du Nouveau cinéma argentin. Certains festivals ont même instauré des fonds de production destinés explicitement aux films provenant des pays « en développement » – dont l’Argentine –, tels que les Fonds Hubert Bals du Festival de Rotterdam, le Sundance Institut ou, encore, le fonds « Works in Progress » du Festival international du film de Karlovy Vary. Ces sources ont financé à la fois les premiers stades du développement de certains projets et la postproduction d’autres films (ce qui était le cas par exemple de Mundo grúa).

L’esthétique du « Nouveau cinéma argentin »

Un consensus général se dégage clairement au sein de la littérature existante sur ce « Nouveau cinéma argentin », selon lequel celui-ci ne constitue pas un mouvement homogène sur le plan esthétique, loin de là. Comme l’explique le théoricien Gonzalo Aguilar, « le Nouveau Cinéma Argentin avait remporté son plus grand succès : changer le régime créatif du cinéma national et atteindre une certaine stabilité grâce à l’apparition de nouvelles maisons de production et la mise en vigueur de la loi du cinéma (sans oublier, bien entendu, l’effort des réalisateurs pour défendre leurs projets dans des conditions parfois bien hostiles) »14. Ce nouveau « régime créatif » est ainsi associé à l’apparition d’une nouvelle génération de producteurs qui favorisait les collaborations internationales, la formation par les écoles et le perfectionnement technique. S’il a débouché sur une nouvelle approche de la réalisation cinématographique, il n’a toutefois pas produit un programme esthétique cohérent, partagé par tous les films régulièrement classifiés sous l’étiquette du « Nouveau cinéma argentin ». En effet, il semblerait que les cinéastes argentins des années 1990 et 2000 connaissent mieux ce qu’ils cherchent à éviter que ce qu’ils tendent à produire ; c’est dans ce sens qu’un certain nombre d’éléments communs peuvent être repérés parmi leurs films.

Ainsi, et contrairement aux générations précédentes, les réalisateurs de cette « nouvelle vague » évitent systématiquement les récits allégoriques, les histoires avec une morale explicite ou les sermons politiques. Il semblerait que leurs films prennent le parti du désengagement, marquant de cette manière une rupture nette à la fois avec le cinéma politique des années 1960 et le « cinéma identitaire » des années 198015. Ce constat contredit une impression répandue parmi les cinéphiles selon laquelle les films du Nouveau cinéma argentin seraient en quelque sorte déterminés par la crise économique. De fait, le public international a suivi par les médias – traditionnels et numériques – le « tango » de l’Argentine avec le FMI, les protestations contre le « corralito », les « cacerolazos »16 et l’évasion de De la Rúa par un hélicoptère17. Qui plus est, les critiques et les programmateurs des festivals ont fréquemment associé l’avènement du « Nouveau cinéma argentin » avec la crise. Cependant, les grands événements de cette dernière sont absents de la majorité des films des jeunes cinéastes argentins qui, d’ailleurs, évitent de dénoncer ouvertement la politique menée par le gouvernement argentin et le FMI.

Racontant l’histoire d’un groupe de jeunes « marginaux » se promenant dans la ville de Buenos Aires et volant pour survivre (Pizza, Birra, Faso), celle d’un bûcheron isolé au milieu de la Pampa argentine (Libertad) ou même encore des aventures familiales dans une ville provinciale (La Ciénaga), l’esthétique de l’ensemble des films du Nouveau cinéma argentin est indéniablement affectée par la pénurie de moyens économiques et les conditions politiques souvent hostiles pour la production cinématographique. A cet égard, il n’est pas surprenant que cette « nouvelle vague » a été comparée au néoréalisme italien en s’appuyant notamment sur les similarités thématiques de leurs films (la pauvreté, le chômage, l’espace urbain), le recours au réel comme point de référence, l’emploi d’acteurs non professionnels, les tournages en extérieur et, bien sûr, les budgets dérisoires18.

Une rétrospective du Nouveau cinéma argentin par la Cinémathèque suisse

Dans le cadre d’une rétrospective qui s’est déroulée entre le 9 janvier et le 27 février 2018, la Cinémathèque suisse – en collaboration avec l’INCAA et le distributeur suisse Trigon-film – a proposé aux spectateurs une longue liste de films argentins de ces vingt dernières années, couvrant ainsi la période qui s’étend de la sortie de Pizza, Birra, Faso en 1998 jusqu’à nos jours. Cette programmation ne s’est pas cantonnée aux productions habituellement classifiées sous l’étiquette du Nouveau cinéma argentin. A côté des films de réalisateurs relativement connus, tels que Pablo Trapero, Martín Rejtman ou Lucrecia Martel, les cinéphiles avaient l’occasion de découvrir l’œuvre de cinéastes plus jeunes comme Diego Lerman et Santiago Mitre ; le deuxième long métrage de ce dernier, El Estudiante (El estudiante ou Récit d’une jeunesse révoltée, Argentine, 2011), est d’ailleurs régulièrement cité comme un exemple typique du cinéma « anomal » de la seconde phase du Nouveau cinéma argentin19. Qui plus est, à ce vaste ensemble de films dits « d’art et d’essai » se sont ajoutés certains titres « grand public » qui ont connu un succès non négligeable à l’étranger, à l’instar d’El secreto de sus ojos (Dans ses yeux, Juan José Campanella, Argentine/Espagne, 2009) et Medianeras (Gustavo Taretto, Argentine/Allemagne, 2011). En somme, la rétrospective de la Cinémathèque suisse a pu témoigner de l’épanouissement du cinéma argentin depuis la deuxième moitié des années 1990 tout en nous rappelant que les « films d’auteur » ne constituent en fin de compte qu’une partie de la production cinématographique contemporaine dans ce pays d’Amérique du Sud (fig. 3).

En jetant un œil sur la sélection diversifiée de cette rétrospective, on se rend vite compte de l’intention des programmateurs : présenter au public suisse certains films qui n’auraient pas l’occasion de se frayer autrement un chemin jusqu’aux écrans helvétiques. Selon les dires de Chicca Bergonzi20, une des missions primordiales de la Cinémathèque suisse est d’accueillir les films les moins visibles, notamment ceux qui sont projetés de manière quasi exclusive dans le réseau des festivals et qui viennent de pays largement ignorés du réseau commercial de distribution. En outre, ce « réseau des festivals » – souvent critiqué pour son élitisme – a malgré tout contribué à la mise en place de la rétrospective : grâce au succès du Nouveau cinéma argentin dans plusieurs festivals du Vieux Continent, un grand nombre de copies de ces films se trouve aujourd’hui dans les locaux de différentes institutions européennes. De la sorte, ce n’est qu’une partie infime des films de la rétrospective qui ont été finalement envoyés depuis l’Argentine, minimisant de cette manière les coûts de l’organisation de la rétrospective.

Mais la question demeure : pourquoi organiser aujourd’hui en Suisse un hommage au Nouveau cinéma argentin ? Pour évidente qu’elle puisse paraître de prime abord, la réponse ne saurait faire abstraction de la trace forte que ce « mouvement » a laissée dans le cinéma mondial. Le parcours de cette génération de cinéastes argentins peut servir de modèle afin d’interroger et d’étudier les conditions de possibilité qui permettront à une cinématographie « périphérique » d’occuper le centre de l’attention à l’échelle internationale – et ce, malgré la crise qui frappe de plein fouet l’Argentine entre 1998 et 2002. Leurs films ont suscité l’intérêt des spécialistes pour leurs qualités esthétiques. Quant aux stratégies de diffusion, ces cinéastes se sont inscrits dans le réseau des festivals de films et les fonds internationaux, inspirant des réalisateurs venant d’autres pays périphériques à suivre leur exemple. Enfin, ils ont réussi à revigorer la grande tradition cinématographique d’Argentine, prétendument en décadence au début des années 1990. Autant de raisons qui prouvent que la rétrospective de la Cinémathèque suisse était non seulement bienvenue, mais aussi salutaire pour le public cinéphile.

*J’aimerais remercier la Fondation Sophie Afenduli (Université de Lausanne) pour leur soutien à mon projet postdoctoral intitulé « Cinema (not) in Crisis, the New Argentine Cinema and the Greek New Wave », que je réalise à l’Université de Zurich. Je tiens également à remercier les professeurs Margrit Tröhler et Jens Andermann pour leur direction et leurs suggestions. Enfin, je désire exprimer ma gratitude à Chicca Bergonzi, adjointe de direction de la Cinémathèque suisse, pour les informations qu’elle m’a données, ainsi qu’à Achilleas Papakonstantis pour son aide lors de la rédaction de cet article.

1 Sélectionné en compétition officielle, le film a remporté les prix du meilleur réalisateur (Pablo Trapero) et du meilleur acteur (Luis Margani).

2 D’après Gonzalo Aguilar, c’est le triomphe de Pizza, Birra, Faso au Festival de Mar del Plata en 1997 qui donne naissance à ce « Nouveau cinéma argentin », même si l’auteur ne manque pas d’identifier certains « précurseurs » (Gonzalo Aguilar, New Argentine Film. Other Worlds, traduit par S.A. Wells, New York, Palgrave Macmillan, 2008, p. 8). Jens Andermann reconnaît pour sa part l’importance de Rapado et de Historias Breves I dans l’épanouissement du cinéma argentin à partir de la deuxième moitié des années 1990 (Jens Andermann, New Argentine Cinema, London ; New York, I. B. Tauris, 2012, p. xiii et p. 8). Enfin, Joanna Page s’attarde sur l’influence que le film de Rejtman a exercée sur cette « nouvelle vague », en le qualifiant comme le « référent manquant » pour cette génération des jeunes cinéastes (Joanna Page, Crisis and Capitalism in Contemporary Argentine Cinema, Durham/Londres, Duke University Press, 2009, p. 68).

3 L’expression renvoie habituellement aux nombreuses « Nouvelles vagues » qui se développent sur un plan international depuis la fin des années 1950 et tout au long des années 1960, y compris en Argentine. En effet, un Nouveau cinéma argentin – dont les origines remontent à l’Ecole documentaire de Santa Fe, fondée par le cinéaste Fernando Birri – prend à cette époque son essor avec des films qui circulent dans les festivals internationaux et les réseaux des ciné-clubs.

4 Il semblerait que la racine du problème se trouve dans la mise en place, quelques années plus tôt, d’un système de taux de change fixe. De fait, l’Argentine entre en 1991 dans une quasi-union monétaire avec les Etats-Unis en raison d’un taux de change fixé à 1 peso – 1 dollar. Ainsi, lorsque la récession arrive en 1998, la dévaluation de la monnaie nationale ne constituait pas une option possible.

5 Une « course aux guichets », connue aussi sous l’expression de « ruée bancaire » (bank run en anglais), arrive lorsqu’un grand nombre de clients s’empressent de retirer leur argent des banques par peur que ces dernières ne deviennent insolvables.

6 Voir https://data.worldbank.org/country/argentina [consulté le 21 juin 2018].

7 Jens Andermann, « Faux monnayeurs : échanges et confrontations entre ‹ cinéma d’auteur › et ‹ cinéma commercial › », CinémAction, no 156, septembre 2015, p. 37.

8 En même temps, il nous faut préciser que certains cinéastes argentins, tels que Lisandro Alonso et Mariano Llinás, ont explicitement refusé l’aide de l’INCAA et ont fini par mettre en place des réseaux alternatifs de financement.

9 Voir Marijke de Valck, Film Festivals : From European Geopolitics to Global Cinephilia, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2007, p. 175.

10 Thomas Elsaesser, European Cinema : Face to Face with Hollywood, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2005, p. 82.

11 Le concept de « périphérie » est amplement employé par les théoricien·ne·s qui travaillent sur le « Cinéma mondial » et/ou la « Littérature mondiale ». Ainsi, les « cinémas du monde » sont généralement répartis en trois catégories : le centre, la sémi-périphérie et la périphérie, suivant les notions introduites par le sociologue Immanuel Wallerstein dans sa théorie du « système-monde » (voir son livre Comprendre le monde. Introduction à l’analyse des systèmes-monde, Paris, La Découverte, 2006). Dans ses célèbres articles sur la littérature mondiale, Franco Moretti adopte ces trois catégories (voir « Conjenctures on World Literature », New Left Review, no 1, janvier-février 2000, et « More Conjectures », New Left Review, no 20, mars-avril 2003). De même, dans l’ouvrage collectif Cinema at the Periphery, plusieurs contributeurs interrogent leurs objets en termes de « cinémas de la périphérie », en confrontant frontalement les enjeux théoriques qui découlent de l’emploi de ce concept : voir Dina Iordanova, David Martin-Jones et Belén Vidal (éd.), Cinema at the Periphery, Detroit, Wayne State University Press, 2010. Ainsi, le cinéma argentin appartiendrait à la catégorie de la « sémi-périphérie », au vu de son importance pour les industries cinématographiques au sein du monde hispanophone et en Amérique latine, et ce malgré la crise qu’il traverse au début des années 1990. La théorisation ainsi que l’application du concept de « périphérie » est frontalement abordée dans notre projet postdoctoral visant à comparer le « Nouveau cinéma argentin » et la « Nouvelle vague du cinéma grec », deux tendances qui surgissent en pleine crise financière en Argentine et en Grèce respectivement (Konstantinos Tzouflas, « Cinema (not) in Crisis : the New Argentine Cinema and the Greek New Wave », Université de Zurich). Grâce au caractère comparatif de ce travail, nous avons eu l’occasion d’approfondir les notions susmentionnées ainsi que d’autres expressions voisines, telles que « Small cinema ».

12 Voir www.cnc.fr/web/fr/cinemas-du-monde [consulté le 21 juin 2018].

13 Voir www.visionssudest.ch/fr/informations [consulté le 21 juin 2018].

14 Gonzalo Aguilar, « Le Nouveau Cinéma Argentin : comment le décrire aujourd’hui ? », CinémAction, no 156, septembre 2015, p. 20.

15 Ibid.

16 C’est ainsi que sont appelées les manifestations qui ont lieu en Argentine en 2001, dans lesquelles les participants défilaient casseroles en main, afin de manifester contre les politiques néolibérales.

17 Fernando de la Rúa a été élu président en 1999 alors que la crise financière avait déjà commencé ; il a poursuivi la politique économique conseillée par le Fonds monétaire international (FMI). En décembre 2001, la crise s’est intensifiée, quand le FMI a refusé de débloquer une tranche de son prêt, en raison de l’incapacité du gouvernement argentin à atteindre les objectifs fixés en termes de déficit budgétaire. La population locale a commencé à retirer des sommes importantes des comptes bancaires et ensuite le gouvernement a adopté des mesures, connues sous le nom de « corralito », pour contrôler la situation. Suite à une série de manifestations massives et violentes, De la Rúa a déclaré l’état d’urgence et a finalement fui la demeure présidentielle « Casa Rosada » en hélicoptère le 20 décembre 2001.

18 Voir à cet égard Gonzalo Aguilar, New Argentine Film. Other Worlds, op. cit., p. 28 et Joanna Page, Crisis and Capitalism in Contemporary Argentine Cinema, op. cit., p. 68.

19 Gonzalo Aguilar, « La seconde phase du NCA : le cinéma ‹ anomal › », CinémAction, no 156, septembre 2015, pp. 30-35.

20 Correspondance avec Chicca Bergonzi, 26 mars 2018.