Roland Cosandey

A propos d’un centenaire. Praesens film 1924–2024 / Empor zur Sonne ! / Berg frei !

1. Déploration

Histoire ! J’ai dit « Histoire » ? Comme c’est bizarre… 

Début 2024, une exposition au Musée national suisse (Zurich), une rétrospective en plusieurs lieux (Zurich, Berne, Soleure, Lausanne), une première monographie : le centième anniversaire de Praesens Film, la seule des anciennes maisons de production suisses dont la raison sociale perdure jusqu’à nos jours, réunissait toutes les facettes d’une célébration majeure. Cette brillante boule disco présente pourtant quelques zones opaques qui en réduisent le rayonnement. Ce sont celles-là qui nous intéressent.

On peut s’étonner du titre de l’exposition, qui ne contenait même pas le nom de son objet : Close up. Une histoire suisse du cinéma. L’énoncé jongle de la métaphore et de la métonymie. Le premier trope suggère une perspective rapprochée, le second laisse entendre qu’un siècle de cinéma suisse se confondrait avec la société de Lazar Wechsler (1896–1981), jeune homme venu en Suisse de Petrikau (Piotrkow Trybunalski) avant la guerre de 1914–18, étant parti de la Russie impériale comme une autre personnalité juive marquante de l’histoire suisse du cinéma, Yakov Bogopolsky, dit Jacques Boolsky (1895–1962), qui était parti de Kiev.

En fait de close ups, l’exposition nous servit une présentation à larges traits de quarante ans d’activité, de 1924 à 1966, c’est-à-dire la longue période orchestrée par le producteur Lazar Wechsler. Elle était habilement articulée autour des collaborateurs principaux des longs métrages de fiction de la maison : le scénariste (Richard Schweizer), le chef-opérateur (Emil Berna), le réalisateur (Léopold Lindtberg), deux vedettes (Annemarie Blanc, Heinrich Gretler), le monteur (Hermann Haller), le compositeur (Richard Blum), et sommairement associée à quelques rappels symboliques de l’Histoire suisse appelés par le thème défini pour chaque partie.

La périodisation est cohérente. Le cœur de l’exposition était composé de quatre espaces dévolus à la courte période de 1938 à 1945, chacun thématiquement caractérisé par un film, Fusilier Wipf (1938) pour « Geistige Landesverteidigung » (Défense spirituelle nationale), Gilberte de Courgenay (1941) pour « Zwischen Bühne und Film » (Entre la scène et l’écran), Marie-Louise (1943) pour « Humanitäre Tradition » (La tradition humanitaire), La Dernière chance (1945) pour « Aux frontières » – mais pourquoi ne pas avoir retenu Landamman Stauffacher (1941) et The Search (1948) ?

La cohérence repose sur l’idée que le long métrage de fiction serait LE genre définissant par excellence le cinéma et a fortiori la production de Praesens. Subdivisés en deux volets successifs, « Ankunft und Aufbruch » (Arrivée et percée) et « Auftragsfilme » (Films de commande), les deux premiers box traitaient les années 1924–1938. La période donnait l’occasion de mentionner l’alliance initiale de Wechsler avec l’aviateur et photographe Walter Mittelholzer (1894–1937) et la présence permanente d’Amalie Wechsler-Tschudi (1896–1972), épouse, secrétaire, comptable, assistante de production. Ce long moment de l’entre-deux-guerres était illustré par quelques extraits sur moniteur de productions de commande rarement montrées dans d’autres circonstances1 et laissait croire que Frauennot Frauenglück (1930) relevait de cette catégorie.

À l’autre bout du parcours, les années postérieures à 1945 étaient traitées en deux volets, le premier illustrait avec Heidi (1952) le thème « Heimatidylle » (La patrie comme idylle) et le dernier expédiait en six affiches, réunies sous le curieux titre de « Rochaden » (Roques), emprunté aux échecs que pratiquait Wechsler, la période des co-productions avec l’Allemagne fédérale, de Unser Dorf (1953) à Der Arzt stellt fest (1966).

Dans la monographie dont il sera question plus loin, un découpage temporel latinisé articule la matière en décalant chronologiquement la période jugée la plus représentative. « Praeteritum » y désigne les années 1923–1939, « Praesens » 1940–1951 et « Futurum » [sic] 1952–2024.

Cette vulgarisation reproduisait ce que l’on raconte communément sur Praesens depuis Der Schweizerfilm. Die Schweiz als Ritual de Werner Wider et Felix Aeppli (1981) et L’Histoire du cinéma suisse. Films de fiction 18961965 d’Hervé Dumont (1986), références aussi immuables que discutables, entre autres pour n’avoir guère fait l’objet de révisions ni d’apports nouveaux depuis près de quarante ans, à part l’attention ponctuelle portée à quelques films, Frauennot Frauenglück (1930) plus particulièrement.

Faut-il voir dans cette tiède proposition le fait que les commissaires, Aaron Esterman et Rahel Grunder, ne cherchèrent pas à s’associer des historiens du cinéma (ferait-on, par exemple, une exposition sur l’histoire du féminisme suisse sans convoquer des spécialistes du domaine ?) et se contentèrent de tirer leur savoir de cette tradition critique figée ? Ou pensait-on que la popularité du long métrage de fiction Praesens auprès du public suisse alémanique fournissait un contexte d’accueil suffisant pour une sorte de rappel convenu ? Mais les offres de visite proposées par le Musée indiquaient bien que l’on ne visait pas un public réduit à ce qui subsiste de la génération de spectateurs qui avaient appris de leurs parents ce qu’était la Mob et qui fait encore l’audience des films Praesens régulièrement programmés par la Télévision suisse alémanique.

L’occasion d’une pensée innovante, c’est-à-dire d’un regard frais posé à la fois sur cette tradition et sur son objet, a été largement manquée. Les lignes auraient pu bouger si l’on avait cherché à profiter de cette circonstance, qui comprend l’élargissement bienvenu du corpus Praesens accessible grâce aux travaux de la Cinémathèque suisse, pour accompagner l’exposition d’un ouvrage collectif où faire le point et reproblématiser ce que véhicule la doxa, à commencer par la pertinence des périodisations et des catégorisations reçues. Les points sont nombreux qui appellent examen.

Suggérons un programme. Discuter la figure mythifiée du producteur, si fâcheusement embrouillée d’anecdotes et de clichés (versés dans l’oreille du visiteur par l’audioguide de Close up)Considérer sérieusement les quelques écrits de Wechsler et tenter de dégager ce qui pourrait être défini comme le « discours Praesens », dans ses variations et ses accents. S’interroger sur la judéité du producteur, au-delà de la dénonciation de l’hostilité obsessionnelle d’un Hausamann, en examinant l’antisémitisme visant dans les années 1930–1940 le monde du cinéma et ses topos (affairisme, opportunisme, sensationnalisme, identité nationale flottante)2. Approfondir le rôle central de Richard Schweizer (1900–1965), si lourdement chargé par un Werner Wider. Inverser la relation de Lindtberg au cinéma en partant de la possibilité qu’offrit le Schauspielhaus zurichois à l’immigré juif autrichien apatride de rester en Suisse. Reconsidérer le bien-fondé d’une vision plus ou moins explicite qui fait de la production documentaire ou de la commande publicitaire et institutionnel une sorte de pis-aller en attendant le long métrage de fiction, et non le tissu même de l’industrie cinématographique suisse. Aborder la réception de la production Praesens dans son horizon contemporain plutôt qu’à l’aune de la tradition critique rétrospective. Mettre en valeur, en le distinguant du film de commande, la constante que représente le documentaire « libre ». Prendre la mesure du rôle de David Wechsler (1918–1990), fils de Lazar. Établir quelle fut la position de Praesens à l’égard de la politique du cinéma menée par les autorités fédérales entre 1925 et 1963...

La carence d’un regard historique se fait sentir sur un autre plan aussi. Ces dernières années, le répertoire des films accessibles s’est élargi considérablement avec la restauration soutenue du répertoire Praesens menée par la Cinémathèque suisse. Toutefois, la chance que représente le moment restauratif pour une compréhension contextualisée de l’objet traité matériellement afin d’être remis en circulation n’est pas saisie par cette démarche, si étonnant que cela puisse paraître au regard des pratiques de la conservation artistique ou archéologique. Là non plus, l’historien n’a pas été sollicité pour faire équipe avec l’archiviste et le restaurateur, ce qui entraîne évidemment que les métadonnées associées au catalogage restent lacunaires et que les communicateurs, puisant dans le connu, produisent de la « communication », c’est-à-dire font de la promotion plutôt que de fournir de l’information. Les 29èmes Journées de Soleure annonçaient la rétrospective Praesens sous le titre usurpé mais probablement jugé sexy de « Entre avant-garde et Hollywood ».

Dans le cadre où s’exerce aujourd’hui l’activité patrimoniale en matière de cinéma, une telle attente, une telle exigence devrions – nous dire, relève de la pure utopie. Et la disposition d’un outil filmographique national, dont tant de pays se sont dotés durant le quart de siècle écoulé, reste une chimère. À une échelle moins ambitieuse, la plus ancienne, la plus prestigieuse, la plus etc. des maisons de production suisses a beau avoir été célébrée pour être devenue centenaire, elle n’est toujours pas filmographiée dans les règles de l’art et aucun document publiquement accessible n’en fournit l’état des films conservés à ce jour.

La Cinémathèque suisse (CS) a entrepris un effort méritoire en proposant, dès juillet 2024, une riche exposition en ligne consacrée aux 100 ans de Praesens Film, en français et en allemand : cs.webmuseo.com. Par une navigation claire, elle permet d’accéder à des documents d’archives – photographies, affiches, critiques, etc. – que l’on peut lire à volonté et prolonger par des liens menant aux films présents en ligne. L’accrochage est parfois chronologiquement curieux et les notices de chaque item, heureusement systématiquement fournies, correspondent à l’état du catalogage, non à une reconsidération de la pièce en fonction de son exposition. L’ensemble balance entre un usage illustratif du document et, dans le meilleur des cas, une exploitation heuristique. En intégrant des informations sur l’archivage (film et non film) et sur la restauration, en fournissant une bibliographie, cette galerie Praesens d’un musée virtuel du cinéma suisse permet néanmoins de faire comprendre au public en quoi cette maison de production centrale dans notre histoire cinématographique réunit tout ce qui fait le projet patrimonial d’une cinémathèque.

Que Close up. Une histoire suisse du cinéma n’ait pas été accompagné d’une publication tient peut-être à ce que les familiers du Musée national saisissaient dès qu’ils entraient dans l’espace peu généreux dévolu à l’accrochage : ce n’était pas une exposition majeure, et il a d’ailleurs fallu quelque astuce pour délimiter les surfaces susceptibles d’accueillir de brefs extraits de film illustrant chacun des thèmes. Mais peut-être aussi a-t-on fait l’économie d’une publication, parce que l’annonce, depuis belle lurette, d’une monographie sur Praesens, qui ne pouvait guère paraître qu’à l’occasion de cette célébration, rendait un tel projet superflu.

Mauvais calcul. Du moins dans notre perspective. À lire Heidi, Hellebarden & Hollywood. Die Praesens-Film-Story de Benedikt Eppenbergerun ouvrage que NZZ Libro, l’éditeur zurichois, se permet de publier sans index et avec une filmographie qui ne retient même pas tous les titres discutés, on pourrait penser que l’histoire de cette maison de production centenaire n’est documentée que par une trentaine d’articles de presse et par de la littérature secondaire, une littérature secondaire où manquent d’ailleurs les apports de ces vingt dernières années3. Existe-t-il des fonds d’archives susceptibles d’en enrichir la connaissance ? L’exposition en signalait quatre, parce que les cartels indiquaient comme il se doit l’origine des documents prêtés : le Fonds Richard Schweizer au Stadtarchiv Zürich, le Fonds Praesens-Film AG à la CS, le Fonds Robert Blum à la Zentralbibliothek Zurich et les Archives fédérales.

Eppenberger ne fréquente pas ces lieux. Lui en faire le reproche n’aurait de sens que si son ouvrage relevait d’autre chose que d’un journalisme puisant chez des informateurs de deuxième main les éléments de sa story. Nous ne perdrons pas le temps du lecteur en entamant ici la discussion d’un ouvrage qui repose si largement et parfois jusqu’à la paraphrase sur l’Histoire du cinéma suisse de Dumont cité plus haut4. Nous nous contenterons de regretter cette reconduction du même et de prononcer une dernière déploration. Dans les disciplines de l’histoire contemporaine, de l’histoire culturelle et de l’histoire du cinéma, le cinéma suisse n’est pas un objet qui suscite un tel foisonnement de recherches qu’une monographie de troisième main comme celle d’Eppenberger n’ait pas toutes les chances de passer longtemps pour une référence. Et, à l’autre bout du spectre de la transmission, l’on ne saurait attendre d’une plateforme « patrimoniale » si ouvertement hostile à tout effort tant soit peu « savant » que l’est filmo.ch (« Schweizer Filme neu entdecken ») qu’elle accompagne pour les nouvelles générations l’accès aux films Praesens par une véritable mise en perspective.

2. Exploration

Empor zur Sonne ! (1931) / Berg frei ! (1936)

Au moment où nous menions une recherche sur Das weisse Stadion (Arnold Fanck, Othmar Gurtner, Olympia Film, CH, 1928), l’historien berlinois Jeanpaul Goergen s’enquérait de l’existence en Suisse d’une copie de Empor zur Sonne ! La demande était suscitée par le constat que ce film 35mm de production suisse qui avait circulé en Allemagne en 1932–33 avait très probablement été détruit par les bombardements alliés de 1944. Notre curiosité fut d’autant plus grande que ce titre n’apparaissait nulle part dans nos références et que l’entreprise pouvait être considérée comme une sorte d’anti-modèle de la célébration par Fanck et Gurtner des Jeux olympiques d’hiver de St Moritz 5.

À la suite de sa première à Zurich, mardi 6 octobre 1931, la Berner Tagwacht, quotidien du Parti socialiste bernois, donna d’Empor zur Sonne ! le compte-rendu suivant :

L’association touristique ‹ Les Amis de la nature › a réalisé un film de ski portant le titre ci-dessus, qu’elle a présenté en première vision le 6 octobre 1931 à Zurich en présence des autorités municipales et cantonales ainsi que des représentants de toutes les organisations ouvrières. Le film va entamer un tour de la Suisse et devrait ultérieurement être projeté à l’étranger aussi.

Disons-le d’emblée : il s’agit d’un film plein de force et de beauté, débordant de joie de vivre et d’esprit communautaire. Considérant qu’il ne profite en rien à l’humanité que certains gravissent les échelons de la vie sociale tandis que d’autres sont condamnés à rester au pied de l’échelle, on a particulièrement veillé à ne pas placer dans le grandiose paysage hivernal l’individu et ses performances exceptionnelles, mais tout simplement des hommes. Les protagonistes du film ne sont donc ni des acteurs professionnels ni des ‹ canons › sportifs comme on dit, ils sont tous sans exception issus du peuple travailleur et sont membres de l’association touristique ‹ Les Amis de la nature ›. Le film n’a pas été tourné en studio non plus, mais dans différentes régions de Suisse, dans le cadre libre et beau de la montagne. S’il est conçu comme un moyen publicitaire, ce n’est pas au sens habituel du terme. Il fait la réclame de la beauté de la nature, de la joie de vivre, du ski sain, de l’organisation appropriée des loisirs des travailleurs et des efforts culturels de l’association touristique ouvrière ‹ Les Amis de la nature ›. Il veut battre le réveil de tous ceux qui ne savent rien de la beauté du monde, de la grandeur majestueuse des montagnes, rien de l’éclat ni de la splendeur inépuisablement déployées sur la Terre. 

Frères, vers le soleil, vers la liberté, 

Frères, vers la lumière ! 

C’est la devise du film. Ni les plaisirs douteux, ni le morne accablement ne feront de l’ouvrier un combattant de l’avenir. Ce que veulent les Amis de la nature avec leur film, le camarade Walter Escher, son véritable créateur6, l’a dit de manière éloquente dans son discours de bienvenue : Nous, les Amis de la nature, voulons amener à la nature, notre mère toute-puissante, ce géant des temps modernes qu’est le prolétariat, afin qu’il y puise ses forces et devienne invincible comme Antée, le héros grec. 

Dans sa première partie, le film décrit l’atmosphère sombre et pesante de la plaine et l’oppose aux hauteurs cristallines des montagnes que réchauffe le soleil. Samedi après-midi, les ouvriers quittent les entreprises et se hâtent de prendre le premier train qui les mènent où ils désirent : sur le terrain de sport ensoleillé des Alpes. Nous découvrons la joyeuse vie communautaire des cabanes de montagne, nous goûtons l’humour des sportifs et nous sommes les participants silencieux d’une ‹ chasse au renard › particulièrement réussie menée dans le paysage hivernal de la montagne. 

La deuxième partie du film nous familiarise avec le ski pratiqué dans la région des neiges éternelles. Là, au cœur de l’incomparable beauté de la haute montagne, loin des tracas quotidiens, les Amis de la nature s’adonnent à leur plus beau sport, tandis que les rues de la ville se couvrent de fange, cause des maladies qu’entraîne le froid.

Les Amis de la nature peuvent s’enorgueillir avec raison de leur film publicitaire et avec eux tout le mouvement ouvrier pour être capable d’un tel accomplissement. Cette réussite du tourisme ouvrier n’aurait pas été possible sans l’action commune de toutes les forces de la classe ouvrière. Le chemin de l’unité nous élève tous vers le soleil et la beauté.7

Comme le rappelle l’article, le titre du film a une dimension symbolique familière, qu’il faut préciser ici. Empor zur Sonne !, qui sera traduit par Vers le soleil pour la distribution en Suisse romande, fait allusion à un des chants les plus notoires du répertoire social-démocrate germanophone de l’entre-deux-guerres, sous la forme des trois strophes de la version allemande par Hermann Scherchen (1891–1966) d’un chant révolutionnaire composé à la fin du XIXe siècle par le Russe Leonid Petrovitch Radin (1860–1900).

Brüder, zur Sonne, zur Freiheit, Brüder zum Licht empor !Hell aus dem dunklen VergangnenLeuchtet die Zukunft hervor. 

Seht, wie der Zug von MillionenEndlos aus Nächtigem quillt, Bis eurer Sehnsucht Verlangen Himmel und Nacht überschwillt ! 

Brüder, in eins nun die Hände, Brüder, das Sterben verlacht ! Ewig, der Sklav’rei ein Ende,Heilig die letzte Schlacht ! 

Frères, vers le soleil, vers la liberté Frères, vers la lumière.Éclairant les ténèbres du passé,L’avenir nous montre sa clarté.

Voyez le cortège des millionsDéborder sans fin de l’obscuritéTant que vos aspirationsEmplissent le ciel et la nuit !

Frères, tenez-vous la main,Frères, riez de la mort,Que l’esclavage cesse pour toujours !Sacré soit l’ultime combat ! 8.

La référence à ce chant entraîne deux observations. S’il se confirme que le film était bel et bien sonore, quelle musique en accompagnait les images ? S’il s’avère qu’il pouvait être montré muet, que put-on jouer ou chanter en direct ?

Par ailleurs, le contenu du chant, partagé par un auditoire qui voit le film dans le cadre de son engagement politique et culturel – socialistes, syndiqués, Amis de la nature – vient expliciter une autre dimension que nous pourrions ne plus percevoir : l’opposition de ce que propose Empor zur Sonne !, où « on a particulièrement veillé à ne pas placer dans le grandiose paysage hivernal l’individu et ses performances exceptionnelles mais tout simplement des hommes », avec la vision définie comme bourgeoise du sport, qu’il s’agisse d’alpinisme (en réponse au Club alpin suisse, élitaire) ou d’olympisme. Au nom de cette distinction, qui condamne l’effort compétitif et privilégie la dimension collective et émancipatrice du sport, le Conseil communal de la Ville de Zurich à majorité de gauche avait refusé en décembre 1927 de contribuer à la souscription populaire nationale lancée pour soutenir la participation suisse aux J.O. d’hiver 1928 de St Moritz et d’été d’Amsterdam9.

Précédant l’avant-première allemande, une présentation plus factuelle de Empor zur Sonne ! parut dans Der Wanderer, la revue des Amis de la nature allemands. Due à A. C. Georgé, président de la section de Nuremberg et rédacteur du périodique, elle apporte de précieux éléments scénaristiques10. Nous en avons découpé le texte de manière à distinguer ce que l’on peut présumer constituer des séquences. La description confirme aussi que le film illustre deux activités hivernales des Amis de la nature, le ski et l’ascension.

[...] Les nuages s’accumulent sur les branches dénudées, empêchant le soleil de pénétrer dans les maisons. Dans les rues où filent les voitures et roulent les tramways, la neige est sale, misérable reflet de la pureté rayonnante des montagnes hivernales. Le monde des travailleurs s’affaire, on voit les charbonniers traîner leurs lourdes charges, le vendeur de châtaignes offrir ses fruits savoureux, on voit des images extraordinairement bien vues de la sortie du travail d’une grande fabrique.

Le bulletin d’enneigement cloué à la Maison des sports des Amis de la nature donne de précieuses indications pour une utilisation judicieuses du temps libre et la Maison des sports elle-même propose un équipement solide et bon marché pour les sports d’hiver, ces sports si bénéfiques pour la santé11. On voit comment les longues lattes sont contrôlées et les vêtements de sport d’hiver ajustés.

Joyeux, les amis se retrouvent à la gare pour être emportés au rythme rapide des roues vers la solitude des montagnes. De magnifiques paysages défilent à l’écran dès que commence la montée ‹ vers le soleil ›. Cette scène, qui décrit la difficile ascension vers le sommet baigné de soleil, est l’une des plus impressionnantes que montre le film. 

La lutte contre les obstacles de la nature et les pièges du manteau neigeux prend une signification symbolique plus profonde et peut facilement être comparée à la lutte menée pour une vision libre du monde.

Un intermède amusant, qui ne s’imposait pas vraiment, confirme une fois de plus que Cupidon suit même jusqu’au plus haut sommet la trace étroite des skieurs12.

Nous vivons ensuite les joies et les peines d’un moniteur de ski des Amis de la nature et assistons au succès de son travail dans une fabuleuse chasse au renard, vivement menée à travers de magnifiques paysages de forêt13.

La deuxième partie du film décrit une ascension hivernale de l’Oberalpstock en Suisse centrale14. Dans une magnifique camaraderie montagnarde, encordés deux par deux, nos camarades franchissent de profondes rimayes, grimpent jusqu’au sommet et après une courte pause redescendent vers la vallée, témoignant d’une brillante technique de course. [...]15

En l’absence matérielle du film, cette première approche repose sur trois sources extra-cinématographiques, la presse en ligne, la monographie de Beatrice Schumacher sur les Amis de la nature et une étude de Stephan E. Heuscher sur la section d’Uzwil (Saint-Gall)16.

Entre 1925 et 1935, l’association Les Amis de la nature enregistre une progression constante de ses membres : 1925 : 4’881 / 1928 : 6’096 / 1931 : 8’500 / 1934 : 10’524 / 1937 : 12’083.

Dès 1929, Walter Escher forme des instructeurs et inaugure les cours de ski. C’est lui que l’on désigne comme l’auteur de Empor zur Sonne !

Béatrice Schumacher signale qu’en 1936 l’association se dota d’un deuxième film, Berg frei ! Elle ne dit rien de plus de cette réalisation, qui reprend le titre du périodique de l’Association créé en 1920 (le salut « Berg frei ! » se distinguait de celui des bourgeois, « Berg heil ! »), et c’est à nouveau grâce à la presse que nous réunissons les premières données à son sujet.

La réalisation est attribuée à Central-Film S. A., une filiale de Praesens active dès juin 1935, les images sont dues à l’opérateur de la maison-mère, Emil Berna. Le tournage mené en 1935–1936 illustre les diverses activités sportives des Amis au fil des saisons – randonnée, canoë sur le Rhin et en rivière, patin à glace, varappe et alpinisme (Oberland bernois, Gotthard), ski dans les montagnes grisonnaises – et évoque la jeunesse excursionnant et célébrant le solstice d’été (« Sonnenwendfeier »).

Il s’agit d’un long métrage sonore 35mm (« Gross-Tonfilm », musique seule ? musique et voix off ? Deux versions ?17), dont l’avant-première eut lieu à Zurich, au Volkshaus, mardi 27 octobre 1936, et qui circula avec un complément de programme comme Mittelholzers Matterhornflug (1934 ?)18Charlot pompier19 ou encore Hoch in Fels und Eis (non identifié). En subsiste-t-il des éléments ? Nous l’ignorons à ce stade des recherches20.

Berg frei ! s’ouvrait sur un bilan et l’actualité politique internationale :

[...] Le film, dont l’avant-première zurichois a recueilli un grand succès et qui a été projeté pour la première fois à Berne dimanche 15 novembre dans la grande salle du Volkshaus, commence par une introduction originale, qui montre sous forme de schémas le développement sans précédent du mouvement international des Amis de la nature, puis comment croix gammée et croix potencée ont éliminé les branches allemandes et autrichiennes du mouvement, ainsi que l’état actuel du mouvement suisse, qui peut compter comme siennes 75 cabanes de montagne. Comment l’Ami de la nature occupe-t-il son temps libre ? Non pas dans la fumée et l’air vicié des divertissements stupides, non pas dans l’élégance toc des dancings mondains, mais dans la nature, où il renouvelle ses forces été comme hiver. [...]21

Et l’appréciation esthétique, qui est aussi celle qui caractérise la réception de Empor zur Sonne !, repose sur un jugement définissant implicitement le bon cinéma comme celui qui s’éloigne de la représentation fictionnelle, jugée factice.

[...] Sans scénario compliqué, sans mise en scène, sans truquage, Berg frei est pour ainsi dire dépourvu de tout artifice et nous montre l’activité de nos Amis de la Nature sous son jour vrai. Que ce soit dans nos montagnes, sur nos lacs et nos rivières, à travers monts et vaux, partout, une jeunesse éprise des beautés de la nature se livre à son sport favori ou parcourt simplement la campagne au son joyeux des guitares. [...]22

Nous sommes ici au croisement de plusieurs champs peu explorés de la production cinématographique. Le film de sport d’abord, auquel le mouvement socialiste prête une attention particulière entre-deux-guerres, en lien avec les diverses associations relevant de la culture ouvrière (Fédération ouvrière suisse de gymnastique et de sport (Satus), cyclistes, etc.), mais dont les disciplines pratiquées par des associations bourgeoises comme le tir et la gymnastique voient régulièrement leur manifestation fédérale filmée depuis le début du siècle. À partir du début des années 1920, le film de ski vient occuper dans cette production une place particulière, non pas pour la couverture des compétitions qui relève des actualités, mais en accompagnement de la formation et de la publication de manuels23.

La dimension identitaire de cette production est évidente. Elle se manifeste aussi dans des réalisations apparemment dénuées de parenté avec le champ sportif, mais dont l’inscription politique dans la réalité sociale les rapproche de cette finalité. Cette catégorie du « film identitaire » que nous suggérons ici permet de mettre au jour, par exemple, l’expression cinématographique largement méconnue de la présence féminine, en partie liée à l’Exposition nationale suisse pour le travail féminin de 1928 (Schweizerische Ausstellung für Frauenarbeit, SAFFA)24. Revenons au premier des deux films qui font l’objet de ce défrichement 25, le moins lacunairement documenté, pour en proposer la notice provisoire suivante :

Empor zur Sonne ! Vers le soleil !, CH, 1931.Commanditaire : Touristenverein Die Naturfreunde / Association touristique Les Amis de la nature.Production : Praesens Film S. A., Zurich (Kultur-Film Abteilung).Distribution : Sporthaus der Naturfreunde, Zurich.Idée : Walter Escher (Les Amis de la nature)26.Réalisation ( ?) : Richard Schweizer.Caméra : Emil Berna.Protagonistes : Les Amis de la nature.35mm, n. et b., sonore (musique seulement ?). 

Version allemande et française ?Suisse : 1800 m. ( ?)27 / Allemagne : 1648 m. (60’ à 24 i.s.).

À défaut d’une copie qui contienne un titre (avec ou sans le point d’exclamation ?) et présente les crédits d’un générique, ces données ont été établies en grappillant dans la presse. Elles doivent être considérées en grande partie comme hypothétiques. Cela vaut en particulier pour Richard Schweizer dont il n’est pas établi s’il fut scénariste ou réalisateur et pour Walter Escher désigné comme auteur au sens large du terme.

Le film ne subsiste ni à la Cinémathèque suisse, ni au Lichtspiel /Kine­mathek Bern. L’association suisse des Amis de la nature n’en a pas conservé de copie. En Allemagne, Jeanpaul Goergen (Berlin) n’en a pas trouvé d’éléments matériels.

filmportal.de en donne les informations suivantes : 

Empor zur Sonne / Regie Emil Berna / Prod. Praesens Film A.G. (Zurich) / 35 mm, 1648 m., 60’ (à 24 i./s.) / visa de censure : 31.12.1931, M. 04061, « Jugendfrei » (accès à tout âge)28.

Soulignons que les rubriques « Commanditaire », « Production » et « Distribution » ne disent pas forcément ce qui détermine la nature comme le mode de circulation d’un film de ce genre. L’accent doit être mis sur le commanditaire. Quelle que soit l’implication technique ou thématique de Praesens, en particulier dans le scénario, le producteur est ici l’exécutant d’une production dont le financement ne relève pas de ses efforts propres et dont il ne détient pas les droits. À l’autre bout de la chaîne, le diffuseur n’est pas une maison de distribution, intermédiaire obligé entre producteurs et exploitants de cinéma pour les films destinés au marché dit commercial, mais le commanditaire lui-même, que l’oeuvre soit projetée dans une salle de cinéma louée ou dans quelque autre lieu (on trouve les deux cas de figure avec Empor zur Sonne !).

Cette configuration propre au film de commande explique pourquoi Walter Escher peut être désigné comme « l’auteur » du film. Une filmographie de Praesens qui n’enregistrerait pas cet aspect par des entrées appropriées empêcherait d’établir la distinction économique fondamentale entre les réalisations pour lesquels la maison de production ne prend pas de risque et celles qui supposent la visée d’un retour positif sur l’investissement grâce à leur exploitation commerciale.

Battons le rappel des titres. D’une durée respectable – environ une heure chacun, peut-on présumer –, les deux films produits par Praesens Film et Central Film pour les Amis de la nature, Empor zur Sonne ! (1931) et Berg frei ! (1936) n’apparaissent ni dans Zimmermann, ni dans Länzlinger et Schärer. Mais l’un et l’autre de ces travaux permettent toutefois de les inscrire dans un corpus particulier, caractérisé d’une part par le lien de ces productions avec le Parti socialiste et certaines de ses instances (syndicats, organisation sportives), et de l’autre par une répartition fonctionnelle entre films de propagande politique (élections et votations fédérales) et films de propagande culturelle sportive29. Rappelons ce corpus :

Das genossenschaftliche Zürich (1929), Ein Werktag (1931), Lohnabbau (1933), Im Dienste des Alltags. Das eidgenössische Personal an der Arbeit (1933), Gott grüss die Kunst ! Der Schweizerische Typographenbund (1933), Zürich baut (1939), Die schweizerischen Gewerkschaften (1946), auxquels ajouter dans la continuité deux productions de Central Film, Hände wollen Arbeit (1939), Die Ferienheime des Schweizerischen Eisenbahner-Verbandes SEV (1944), Männer der Schiene (1944).

Les accents sociaux et hygiénistes de Frauennot Frauenglück (1929), ainsi que la mise en scène du destin de Tat-su, paysan chinois ruiné dans So lebt China (1936)30 empêchent de ramener un tel ensemble de réalisations à une motivation de pure opportunité économique. Réalisé pour le Werkbund par Hans Richter, Die neue Wohnung (1930) peut également prendre place dans ce corpus de réalisations socialement marquées, comme d’ailleurs le « film Musy » mentionné en note une.

Cette première approche d’Empor zur Sonne ! entraîne la formulation de questions qui esquissent, pour cette période de l’entre-deux guerre, une approche renouvelée de la maison centenaire. Terminons par énoncer quelques close ups envisageables. Comment s’élaborent les scénarios entre commanditaire et exécutant ? Quel rôle joue Richard Schweizer, scénariste (et parfois réalisateur présumé) ? Quels sont les liens établis avec le Parti socialiste, dont on rappellera qu’il ne deviendra un parti de gouvernement fédéral qu’en 1943 ? Sont-ils le fait d’une proximité zurichoise avec la gauche et, le cas échéant, par une relation avec quelles personnalités se manifeste-t-elle ? De quelles caisses relève le financement et quels efforts représente-t-il ? Quels liens avec les instances culturelles représentées par la Centrale suisse d’éducation ouvrière dirigée par Hans Neumann (1897–1961) ?

Foin d’angélisme, on peut s’interroger sur le « progressivisme » de Praesens Film (pour autant que l’on s’entende sur le terme) et plus largement sur le grand écart que représente la participation de Lazar Wechsler à la production d’un des films les plus nationalistes allemands du début des années 1930, Tannenberg (Heinz Paul, 1932), en même temps que la reprise du film communiste allemand de Prometheus, Kuhle Wampe oder Wem gehört die Welt ? (Slatan Dudow, 1932).

Et comme il se doit, on peut prévoir que la recherche, dans son cours, portera sur la pertinence de ces questionnements, les validant ou les invalidant. Quoi qu’il en soit, elle devra commencer par une question simple : quelles archives sont-elles susceptibles de receler des éléments de réponse directs ou indirects ?

Le champ est libre. Quaere31.

1  On en trouvera deux en ligne : cs.webmuseo.com. Ci-après nos données d’identification après dernière consultation le 16 avril 2025 : Das Elfenkleid est la version de distribution Praesens pour la Suisse romande d’un film d’animation publicitaire allemand de Harry Jaeger, produit par Julius Pinschewer (Werbe-film GmbH, Berlin) pour la lessive Lux. Il date de 1926. Contre l’abus du schnaps / Gegen den Schnapsmissbrauch est la déclinaison réduite d’un long métrage produit dans le cadre de la campagne pour la votation populaire du 6 avril 1930 sur le projet de révision du régime de l’alcool (art. 32 quater de la Constitution fédérale). C’est une commande du Département fédéral des finances passée à l’instigation du conseiller fédéral fribourgeois catholique-­conservateur Jean-Marie Musy. Il était désigné comme « Musy Film ». Cf. Roland Cosandey : « Cinéma politique suisse 1930–1938 : un coin du puzzle, à droite », dans : Études et Sources (Berne), nº 20, 1994, pp. 184–187 ; Daniel Sebastiani, Jean-Marie Musy (18761952), un ancien conseiller fédéral entre rénovation nationale et régimes autoritaires, thèse de doctorat, Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg, Fribourg, 2004, pp. 246–248. Deux autres titres sont accessibles sur ce même site : Chandler, der Wagen mit dem Gebirgsmotor / Chandler, la voiture avec le moteur de côte, une publicité pour les automobiles de la marque Chandler Motor Car Company, Cleveland, moteur Pikes Peak, qui date des années 1924–1928. Représentée en Suisse par A.-G. für Automobile, Zurich, puis dès le 1er octobre 1926 par Merkur Auto-Vertriebs A. G., Zurich, Falkenstrasse 6, la marque disparaît en 1929. Le film date de 1926–1928. Une vie de bonheur Ein glückliches Leben. Publicité pour le lait en poudre suisse Guigoz, en forme de cours de puériculture. Fin des années 1920.

2  Sur le plan personnel – mais peut-être aussi avec des répercussions moins privées –, il faudrait approfondir la connaissance qu’avait Wechsler du sort de sa cousine Françoise Frenkel (1889–1975), auteure d’un livre témoignant de son sort de juive réchappée du destin tragique des siens, publié en Suisse (Rien où poser sa tête, Genève, Jeheber, 1945). Sa récente redécouverte française a suscité trois publications chez Gallimard, coll. L’Arbalète : Françoise Frenkel, Rien où poser sa tête, 2015 ; Françoise Frenkel, Zone de la douleur. Inédits et textes retrouvés, 2022 (comprenant un entretien avec Peter Wechsler, petit-fils de Lazar Wechsler) ; Corine Defrance, Françoise Frenkel. Portrait d’une inconnue, 2022.

3  Quelques ressources utiles, en complément de la bibliographie établie par Pierre-Emmanuel Jaques, « Praesens-Film : une bibliographie », en ligne : cs.webmuseo.com. Pour Der Feind im Blut (1931) : Anita Gertiser, Falscher Scham. Strategien der Überzeugung in Aufklärungsfilmen zur Bekämpfung der Geschlechts­krankheiten (19181935), Göttingen, V & R unipress, 2015. Pour Die neue Wohnung (1931) : Andres Janser, Arthur Rüegg, Hans Richter : die neue Wohnung : Architektur, Film, Raum, Baden, L. Müller, 2001. Pour So lebt China (1934) : Hans Vogel, China ohne Maske : 20000 km. mit der schweizerischen Filmexpedition, Zurich, Leipzig, A. Müller, 1937. Accompagnant le DVD de Swiss Tour (1949) : le livret d’Yvonne Zimmermann (Gartenberg Media [2021]). Accompagnant les trois versions DVD de Der 10. Mai (1957, 1958, 1976) : le livret d’Andreas Schumacher (Praesens Film, 2020).

4  Dans sa version allemande, Geschichte des Schweizer Films. Spielfilme 1896–1965 », Lausanne, Cinémathèque suisse, 1987, trad. Corinne Siegrist et al.

5  Cf. Roland Cosandey, Das weisse StadionArnold Fanck, Othmar Gurtner, Olympia Film, Coire, CH 1928. Première approche, Berne, Cinéma : l’Histoire pour mémoire, Memoriav, 2024. En ligne : memoriav.ch.

6  Sur Walter Escher, cf. note 26.

7  jl., « Empor zur Sonne ! Ein Sportfilm der Naturfreund », Berner Tagwacht, sa 10 octobre 1931, 2. Beilage, p. [3], (« Sport-Nachrichten »). Toutes les citations de cette étude ont été traduites par nos soins. Texte original en ligne : https://www.e-newspaperarchives.ch/ ?a =d&d =TGW19311010-01.2.27.17.1&srpos =8&e =------193-de-20--1--img-txIN- %22Empor+zur+Sonne %22----1931---0-----

8  A écouter en ligne, chanté en live par Hannes Wader en 1977 : youtube.com. Déposées depuis 2018 au Schweizerisches Sozialarchiv (Zurich), les archives de la Centrale suisse d’éducation ouvrière (CSEO) devraient permettre de vérifier la diffusion du chant, cf. cote Ar sabz 174, Liederbücher, Teil 1, 1928–1997.

9  Cf. l’entrée nº 7 de Das weisse Stadion / L’arène blanche / Le stade blanc The White Stadium / Bílý stadion / белый Стадион / Ginkai Seifuku. Arnold Fanck, Othmar Gurtner, Olympia Film, Coire, CH 1928. Une documentation (Roland Cosandey, éd.), Cinéma : l’Histoire pour mémoire, Memoriav, Berne, 2024. En ligne : memoriav.ch.

10  L’avant-première allemande eut lieu samedi 9 janvier 1932, au cinéma Central-Theater (Wiesenstrasse 67, 700 places), à Nuremberg, siège central des Naturfreunde allemands, qui distribua Empor zur Sonne ! jusqu’à la dissolution de l’association par le régime nazi en 1933. La présentation fut faite par Walter Escher, dans des termes proches de l’article de jl. dans Berner Tagwacht (voir supra). En complément de programme fut projeté Schafft Kraft und Freude !, un court métrage de Hubert Schonger (400 m., Naturfilm Hubert-Schonger, Berlin, 1930), cf. A. C. Georgé, « Zur deutsche Uraufführung des Schweizer Naturfreundefilms ‹ Empor zur Sonne › », Der Wanderer (Nuremberg), nº 2, février 1932, pp. 22–23. Schafft Kraft und Freude ! est sans rapport avec l’organisation nazie Kraft durch Freude (KdF) créée en automne 1933 ; c’est une excursion dans les environs de Hambourg, montrant les activités du port (Wasserkante). Carte de censure, Bundesarchiv (Berlin), cote BArch R 9346-I/ 18563.

11  En 1931, la coopérative Sporthaus Naturfreunde, sise à Zurich, Bäcker-/Engelstrasse, employait 25 personnes et comptait deux filiales, à Berne et à Coire, et dès octobre 1931 une troisième à Winterthur, selon « Sporthaus Naturfreunde », Der Textilarbeiter (Zurich), nº 39, je 24 septembre 1931, p. 4.

12  Cet épisode suscite une légère ironie de la part du critique bourgeois du Bund, par ailleurs favorable au film : « Projeté lundi dernier à la Maison du Peuple par l’association touristique ‹ Les Amis de la Nature ›, le film de ski Empor zur Sonne a parfaitement justifié le grand intérêt du public. En toute simplicité, sans aucune pose d’acteur, on voit le départ et l’arrivée des skieurs, une passionnante chasse au renard et un agréable moment en cabane de montagne. C’est un film socialiste communautaire qui, renonçant aux records et aux performances individuels, ne veut servir qu’à élever le sens de la communauté. On peut tout au plus objecter que ce très louable dessein n’est pas le seul fait des clubs de ski socialistes. Mais pour le reste, la propagande est tenue discrètement à l’arrière-plan, et le chroniqueur est resté totalement rassuré par le fait que même dans ce monde cinématographique socialiste un flirt tout à fait individuel était encore possible. » Wi, « Berner Filmschau », Der Bund, (Berne), me 28 octobre 1931, éd. du matin, p. 3. e-newspaperarchives.ch

13  Après Eine Fuchsjagd auf Skiern durchs Engadin (1922) d’Arnold Fanck, qui est une longue et spectaculaire chasse au renard, la course-­poursuite est devenu un topos du film de ski, cf. l’entrée nº 1 de Das weisse Stadion [...]. Une documentation, op. cit.

14  L’Oberalpstock ou Piz Tgietschen, 3328 m., est un sommet des Alpes uranaises, cf. gipfelbuch.ch.

15  Gé. [A. C. Georgé], « Empor  sur Sonne », Der Wanderer (Nuremberg), nº 1, janvier 1932, pp. 24, 1 illustration.

16  Beatrice Schumacher, Engagiert unterwegs. 100 Jahre Naturfreunde Schweiz. Baden, 2005. Stephan E. Heuscher, « ‹ Berg frei ! › Der Touristenverein « Die Naturfreunde » und die Uzwiler Arbeiterkultur », Toggenburger Jahrbuch 2009 (Wattwil), pp. 37–68, 23 ill. Randonnée et alpinisme : p. 54 sq. ; ski : pp. 56 sq. En ligne : e-periodica.ch. À ce stade, nous n’avons pas dépouillé les périodiques suisses des Amis de la nature, dont les collections sont dispersées et lacunaires : Der Naturfreund (1897–1960), Berg frei (1920–1953), Naturfreund Illustrierte (1931–1961). Les Amis de la nature sont étudiés sur le plan institutionnel avec les cyclistes et les clubs d’échecs ouvriers par Dominique Marcel Fankhauser dans sa thèse, Die Arbeiter sport bewegung in der Schweiz 18741947. Beiträge und Kontroversen zur Sozialen Frage im Sport, Zurich, LIT Verlag, 2010.

17  « Diskret begleitet stimmungsvoll angepasste Musik die von Operateur Berna der Zentral-Film A.G. aufgenommenen berückend schönen Bilder von Wasser und Wolken, von Frühlingssprossen und Winterschnee, von Wald und Fels und Gletscherpracht. », Berner Tagwacht, lu 16 novembre 1936, supplément, p. 3.

18  Entre 1928 et 1931, le pilote, photographe et cinéaste Walter Mittelholzer (1894–1937) effectua plus ou moins régulièrement des vols de passagers au-dessus des Alpes, sous l’égide de sa compagnie, Ad Astra Aero, puis de Swissair, issu en mars 1931 de la fusion avec Balair. À raison de 5 à 10 passagers, pour un prix de 200 francs, plusieurs centaines de personnes embarquèrent à Dübendorf pour les quelque trois heures d’un vol au-dessus des Alpes vers le Cervin. Les Alpes vues d’avion ont fait l’objet d’un livre publié en allemand et en français : Walter Mittelholzer, H. Kempf, Alpenflug, Zurich, Orell Füssli, 1928. Les Ailes et les Alpes, Neuchâtel, La Baconnière, 1929 (adaptation de René Gouzi). Mittelholzer, qui filme depuis les années 1910, et Wechsler sont associés dès les débuts de Praesens S. A. en 1924, sans que la nature de cette association soit clairement documentée. Praesens distribue les films de Mittelholzer à partir de 1925 (Mittelholzers Persienflug).

19  The Fireman, Mutual, 1916, env. 25’.

20  Embarrassant pour nos tentatives d’identification à partir de sources secondaires, un article évoque sous le titre Berg frei » un grand film édité par l’Union touristique internationale ‹ Les Amis de la Nature › », en version française, Giz., « Le plus grand film sportif », Le Droit du peuple (Genève, Lausanne), ma 6 avril 1937, p. 4, et p. 5.

21  » “Berg frei“ », Berner Tagwacht, lu 16 novembre 1936, supplément, p. 2. En ligne : e-newspaperarchives.ch.Cf. aussi : Comm., « ‹ Berg frei ›. Ein neuer Film der Schweizer Naturfreunde », Berner Tagwacht, ma 20 octobre 1936, 2ème supplément, p. 3. En ligne : e-newspaperarchives.ch

22  « Berg frei », La Sentinelle (La Chaux-de-Fonds), ma 26 janvier 1937, p. 2.

23  Formation, manuel et film de ski : cf. par exemple l’activité de Joseph Dahinden (1898-1993). Sur les manuels, cf. Daniel Anker, « Apprendre avec les manuels de ski », dans : Grégory Quin, Laurent Tissot, Jean-Philippe Leresche (dir.), Le ski en Suisse. Une histoire, Orbe, Colombier, Château & Attinger, 2024, pp. 76-85.

24  La paysanne au travail (Arthur Adrien Porchet, 1928) ; L’attività femminile nell’agricoltura ticinese (Armin Berner, 1928), Il était trois jeunes filles (Jean Brocher, 1928) et d’autres fictions didactiques du même Brocher : Il était trois jeunes filles, 1928, pour l’Union suisse des Amis de la jeune fille ; Le Banc des mineurs, 1931, pour l’Association suisse pour le suffrage féminin ; La Fille du capitaine, 1936, à l’instigation de la Commission du travail ménager ; Françoise, 1939, pour l’Union suisse des Amis de la jeune fille. Sur le film de Porchet, cf. Roland Cosandey, « Advenu par les femmes. Augusta Gillabert-Randin et La paysanne au travail (Arthur-Adrien Porchet, 1928) », Revue historique vaudoise, nº 133, 2025, (‹ Cultures paysannes ›), à paraître. Devrait aussi être pris en compte dans cette perspective les films liés au mouvement de la Freikörperkultur, cf. Roland Cosandey, « Mais où sont nos films naturistes des années 30 ? Avis de recherche », Intervalles (Prêles), n° 55, automne 1999 (« Cinéma »), pp. 54-65.

25  Ces deux films ne sont pas uniques. En 1943, un article du journal syndical de la Fédération du commerce, des transports et de l’alimentation rappelait que les activités de l’association étaient montrées dans Berg frei, Empor zur Sonne, Albiswanderung et d’autres petits films. Cf. Albert Georgi, « Die „Naturfreunde“ und der VHTL », VHTL-Zeitung (Zurich), ve 16 juillet 1943, pp. 1–2.

26  Membre dès 1911 de la Fédération du commerce, des transports et de l’alimentation, un syndicat, membre du Parti socialiste, co-fondateur en juillet 1914 de la coopérative Zentraldepot des Touristen-Verein « Die Natur­freunde », Zurich (« Zentraldepot » ou « Sporthaus ») et son directeur, Walter Escher (†1964) fait partie alors du Comité central des Amis de la nature, dont il sera le président (« Landesobman ») en 1932-1934. Dès le début des années 1920, il tient des conférences avec projections lumineuses sur les randonnées alpines des Amis et vers la fin de la décennie il entreprend dans ce cadre la promotion du ski populaire.

27  Ce métrage de 1800 m. figure dans « Chez les Amis de la Nature », Le Droit du peuple (Lausanne), je 12 novembre 1931, p. 4. Arrêté au 31 août 1931, soit deux mois avant la présentation publique du film, le ­catalogue de l’OSEC donne un métrage de 1200 m., cf. Filme. Films. Katalog Schweizerischer Filme für Industrie, Verkehr und Kultur. Catalogue des films industriels, touristiques et documentaires suisses, Office suisse d’expansion commerciale, Lausanne, 2ème éd. augm., 1931, nº 330, p. 50. Défini comme « Skifilm », Empor zur Sonne figure dans la catégorie « Films documentaires et d’enseignement », en version allemande seulement, propriétaire : Sporthaus der Naturfreunde, Zurich. Ce catalogue, qui réunit 459 films de 13 producteurs suisses et quelques maisons étrangères, est un précieux outil filmographique. La présence de Praesens s’y décline, selon les catégories établies par l’OSEC, de la manière suivante. I. Wirtschafts-und Industriefilme. Films économiques et industriels : 38 entrées sur 146. II. Verkehrsfilme. Films touristiques : 7 entrées sur 157. III. Kultur-und Unterrichts-Filme. Films documentaires et d’enseignement : 4 entrées sur 40. IV. Films publicitaires : 81 entrées sur 116. Au total, un corpus de 130 titres (28 %) sur 459 entrées. En 1931, Praesens est donc loin de monopoliser le marché du film de commande, comme on peut le lire, mais il en est un des principaux producteurs et domine le champ publicitaire proprement dit.

28  La fiche de censure allemande, qui faisait office de visa d’exploitation, n’a pas encore été retrouvée, d’après notre correspondant, Jenpaul Goergen, mais elle pourrait être la source des données retenues par la notice de filmportal.de.

29  Pour la « gauche », cf. Länzliger et Schärer, 2009, op. cit., et le mémoire resté inédit de Félix Stürner, « Quand le mouvement ouvrier se fait son cinéma. Politique, discours et réalisations cinématographiques de la Centrale suisse d’éducation ouvrière 1918-1937 », Université de Lausanne, Faculté des lettres, Section d’histoire, juillet 1994.

30  Cf. la présentation de Pierre-Emmanuel Jaques dans cs.webmuseo.com.

31  La recherche est un partage. Merci à Jeanpaul Goergen (Berlin) pour l’incitation initiale et à Pierre-Emmanuel Jaques (Unil) pour les pistes fournies.