Chloé Hofmann

Une imprimante 3D, du carton plume et de la patafix. Entretien avec Antonin Niclass au sujet de la fabrication de Coup de théâtre

Réalisé dans le cadre d’une commande passée par le Théâtre du Passage de Neuchâtel pour la présentation de sa saison 2022–2023, Coup de théâtre (Suisse, 2022) d’Antonin Niclass est un film d’animation en volume1 d’1 minute et 16 secondes, générique de fin compris2. Il a été tourné à l’été 2022 dans un décor fabriqué en carton, avec des figurines en résine, imprimées en 3D et peintes à la main.

En novembre 2024, Antonin Niclass est revenu de manière détaillée sur les étapes de production de Coup de théâtre lors d’une soirée organisée à Lausanne par le Groupement suisse du film d’animation (GSFA)3. Cet événement, qui a rassemblé une vingtaine d’acteurs de la branche et de curieux, a permis au cinéaste de partager les connaissances acquises au cours de la réalisation de ce court métrage à la chaîne de fabrication singulière. Comme en témoigne l’intervention de Niclass, la démocratisation des technologies numériques s’accompagne de recherches, d’expérimentations et d’inventions qui offrent aux professionnels du milieu l’occasion de développer de nouveaux savoir-faire et de s’approprier des outils qui ne sont pas toujours conçus pour les usages qui sont a priori les leurs.

Dans le cas de Coup de théâtre, le temps à disposition, deux mois au total pour développer et réaliser son film, a conduit Niclass à explorer les limites et les possibilités offertes par les librairies de personnages et de mouvements accessibles en ligne. L’utilisation de ces ressources lui a permis d’optimiser le processus de développement de son court métrage en travaillant à partir de modélisations déjà existantes. Après avoir été modifiés pour répondre aux besoins du réalisateur, les fichiers contenant les modélisations de ses personnages ont été utilisés pour l’impression des figurines du film, faisant passer celles-ci de l’état d’objets numériques à celui d’objets physiques.

Cette intégration de l’impression 3D dans le processus de production des figurines d’un film d’animation est au cœur de la pratique d’un grand studio comme LAIKA (États-Unis), qui travaille depuis plusieurs années avec des industriels et des instituts de recherches spécialisés dans ce domaine. Les imprimantes 3D sont des outils qui permettent de rationaliser le travail. Comme les photocopieuses Xerox dont se sont servis les studios Disney dès la fin des années 1950 afin d’optimiser le processus de fabrication de leurs longs métrages, ces « nouveaux » moyens techniques rendent possibles la (re)production à très grande échelle d’éléments servant à l’animation.

Plus proche de nous, l’impression 3D a été utilisée pour la réalisation des deux longs métrages du Valaisan Claude Barras, Ma vie de Courgette (Suisse/France/Monaco, 2016) et Sauvages (Suisse/France/Belgique, 2024). Ces productions d’envergure ont notamment impliqué l’emploi de plusieurs exemplaires identiques d’une même marionnette, certains personnages étant utilisés simultanément sur plusieurs plateaux au cours du tournage.

Initial, l’entreprise chargée de concevoir en grande quantité les têtes4 ainsi que les bouches, les paupières et les sourcils des figurines des deux films de Barras, a eu recours à différentes techniques d’impression et de modelage, en fonction de la nature des pièces à fabriquer5. Bien que quelques-unes des étapes de fabrication de ces éléments soient brièvement présentées sur le site Internet de la société française, la série de phases successives qui mène à l’obtention d’un objet comme une bouche aimantée demeure peu renseignée, les nombreux détails techniques relatifs à la conception et la fabrication d’un tel objet n’étant pas divulgués.

Dans le cas de LAIKA, les différents making of qui dévoilent les coulisses de la fabrication de ParaNorman (L’Étrange pouvoir de Norman, Sam Fell et Chris Butler, États-Unis, 2012), de Kubo and the Two Strings (Kubo et l’armure magique, Travis Knight, États-Unis, 2016) ou encore de Missing Link (Monsieur Link, Chris Butler, États-Unis, 2019) privilégient le moment « spectaculaire » de la matérialisation des visages des figurines, qui est aussi l’une des dernières étapes de fabrication de ces éléments. Ces films abordent rarement les très nombreuses phases qui précèdent l’impression de ces visages et qui impliquent notamment de décomposer chaque ligne de dialogue en vue de modéliser de très nombreuses positions de bouches, ce qui doit permettre d’obtenir une synchronisation d’une grande précision entre les mouvements de lèvres des marionnettes et les mots prononcés par celles-ci. In fine, c’est une partie conséquente du processus de production de ces objets qui échappe à une connaissance partagée, celle-ci faisant l’objet d’enjeux économiques importants.

L’absence de documentation en ligne au sujet de ces processus et le succès rencontré par les soirées organisées par le GSFA mettent au jour le besoin pour les professionnels de l’animation de partager leurs expériences dans un contexte marqué par d’importantes mutations techniques qui poussent les professionnels de la branche à reconfigurer leurs pratiques.

Réalisé en décembre 2024 dans le cadre du projet FNS « Histoire de l’animation suisse francophone »6 dirigé à l’Université de Lausanne par Maria Tortajada, le présent entretien révèle la façon dont Niclass a dû faire preuve d’une grande inventivité au cours du processus de développement de Coup de théâtre en composant avec d’importantes contraintes techniques, financières et temporelles. Il rend compte d’une expérience de création singulière qui met en évidence l’importance d’une histoire de l’animation suisse qui s’intéresse à des études de cas. Celles-ci permettent en effet une compréhension fine des processus de fabrication des films d’animation à l’échelle locale, documentent des modes de production soumis à d’importantes variations, et mettent au jour le fonctionnement de réseaux d’acteurs hautement qualifiés qui réinventent leurs pratiques projet après projet afin de répondre aux besoins spécifiques de chaque production.

Chloé Hofmann : Comment vous est venue l’idée de réaliser un film pour le Théâtre du Passage ?

Antonin Niclass : J’ai assisté à un spectacle au Passage en 2021 et j’ai vu à cette occasion un film de promotion pour le théâtre réalisé par l’agence neuchâteloise Das Playground. Je me souviens avoir alors pensé qu’il y avait une sensibilité pour l’audiovisuel au sein de cette institution. L’année suivante, ma copine, qui travaille au Passage, m’a dit qu’il y avait un budget spécial pour les 20 ans du théâtre, et que Robert Bouvier, le directeur, aimait beaucoup le cinéma d’animation. Je l’ai donc contacté pour lui proposer de réaliser un film en stop motion pour cet anniversaire. Je lui ai pitché mon idée, je lui ai montré l’animatique que j’avais réalisée et il a très rapidement accepté ma proposition.

CH : Quelles étaient ses exigences ?

AN : Il m’a demandé de réaliser un spot publicitaire de 30 secondes qui devait évoquer à la fois la diversité de la programmation du théâtre et de ses publics. Le mot d’ordre était « inclusivité ». Il fallait aussi que le film soit diffusable dans les salles de cinéma. J’avais deux mois pour lui rendre un produit fini avec un budget de 7’000 CHF au total. C’est une très petite somme pour un film en stop motion. À titre indicatif, le budget idéal que j’ai fait rétrospectivement dépasse les 35’000 CHF. Et encore, je n’ai pas appliqué les tarifs des agences de communication. Mais au moment de lui faire ma proposition, je n’avais réfléchi ni aux ressources que ça allait me demander ni à la façon dont j’allais concrètement réaliser ce film. Quand j’ai découvert la somme que Robert Bouvier me proposait, je me suis dit que c’était l’occasion d’expérimenter une nouvelle technique, de tester des choses, et que même si je ne gagnais pas vraiment d’argent, ça me permettrait d’enrichir mon portfolio, alors j’y suis allé. Mais c’est vrai que si je n’avais pas eu la chance d’avoir des économies et d’être entouré de personnes qui ont accepté de travailler pour très peu, ça n’aurait pas été possible d’un point de vue financier de réaliser ce film.

CH : Quelle idée avez-vous proposée à Robert Bouvier ?

AN : À l’origine, je voulais mettre en scène des personnages dans différents lieux de Neuchâtel. Sur un quai de gare, au centre-ville, au château et bien sûr au théâtre. Mais je me suis rapidement rendu compte que ce n’était pas réaliste avec le temps et les moyens que j’avais à disposition. Il y aurait eu trop de décors à créer. J’ai donc décidé de proposer un film qui se passe dans un décor unique, la cour du théâtre, avec en arrière-plan la façade du Passage. J’ai ensuite sélectionné cinq ou six spectacles de la saison très différents les uns des autres. Pour chacun d’entre eux, j’ai imaginé un personnage qui me semblait caractéristique et qui allait apparaître ou traverser la cour à sa façon. Finalement, en plus des spectateurs et des deux enfants qui ouvrent et clôturent le film, j’ai mis en scène un trompettiste, une danseuse classique, des Circassiens, un guerrier d’une tragédie grecque, un chien, un danseur de breakdance, une aviatrice et un montagnard qui descend en rappel depuis le toit du théâtre.

CH : Pourquoi avoir choisi l’animation en volume ?

AN : C’est une technique que j’aime beaucoup et j’avais envie d’expérimenter l’impression 3D pour ce film. Les grands studios emploient de plus en plus ce type de procédé. LAIKA imprime par exemple les visages de ses personnages en 3D depuis plusieurs années. Comme ils ont des budgets très importants, chaque expression faciale, chaque position de bouche est imprimée sur des visages aimantés qui sont remplacés les uns après les autres au cours du tournage. Dans un film comme Coraline [Henry Selick, États-Unis, 2009] chaque personnage peut avoir plusieurs centaines de visages différents, c’est très impressionnant. Dans mon cas, j’avais envie d’essayer l’impression 3D pour transformer le Théâtre du Passage en monde miniature et obtenir une esthétique de maquette de train comme dans Panique au village [Stéphane Aubier et Vincent Patar, Belgique/Luxembourg/France, 2009]. Je me suis aussi dit que c’était un moyen efficace de gagner du temps car je n’allais pas pouvoir fabriquer et utiliser des figurines articulées d’une grande complexité pour ce film.

CH : Concrètement, comment fonctionne l’animation dans votre film ?

AN : C’est une animation par substitution. Chaque personnage réalise un mouvement que j’ai prédéfini à l’avance, en amont du tournage. Chaque mouvement a été décomposé en un certain nombre de poses et chaque pose a ensuite été imprimée. Au moment du tournage, entre chaque prise de vue, il s’agit donc de remplacer une figurine par une autre dont la pose est légèrement différente. Quand le bras d’un personnage bouge à l’écran comme c’est le cas de la danseuse de ballet, ce n’est pas parce qu’un animateur a changé le positionnement de son bras de quelques centimètres, mais parce que les différentes figurines de la danseuse ont des bras plus ou moins écartés. C’est leur remplacement successif qui donne l’illusion d’un mouvement.

CH : Comment avez-vous procédé pour obtenir les modélisations de vos personnages ?

AN : J’ai commencé par acheter des figurines de maquettes en ligne. Elles étaient beaucoup trop petites, mais elles m’ont permis de déterminer la taille idéale de mes figurines, qui font environ 4,5 centimètres de hauteur. C’est seulement après ce premier achat que j’ai compris que j’allais devoir passer par des modélisations. J’ai d’abord pensé demander à une personne de mon entourage de me scanner avec une application qui s’appelle Polycam pendant que je prenais toutes les poses nécessaires à l’animation. Cette application permet d’obtenir assez facilement des modèles en 3D à partir d’objets ou de personnes. Au moment où je faisais des tests, l’une de mes amies animatrices aidait son copain à créer des figurines Warhammer en résine grâce à une imprimante 3D. On a utilisé cette imprimante pour réaliser des figurines à partir de modélisations que j’avais obtenues avec Polycam. (fig. 1) J’étais enthousiasmé par le résultat car les détails étaient très fins même sur des petites figurines. Mais je me suis rapidement rendu compte que scanner chaque pose pour obtenir une modélisation allait prendre beaucoup trop de temps. En plus, toutes les poses devaient être nettoyées numériquement et je ne savais pas comment faire ça. Il aurait aussi fallu que je loue des déguisements et que j’engage des personnes avec des physiques différents pour incarner chaque personnage de façon à avoir une palette variée. J’ai donc rapidement abandonné cette idée.

CH : Mais alors, comment avez-vous fait ?

AN : J’ai découvert qu’il existe sur Internet une infinité de librairies de personnages et d’objets modélisés qu’on peut acheter ou parfois télécharger gratuitement. J’ai commencé à chercher les personnages dont j’avais besoin, mais les modélisations existantes ne correspondaient pas toujours exactement à ce qu’il me fallait. L’un de mes amis, Roel van Beek, a accepté de retravailler les modélisations achetées en ligne pour quelques francs en ajoutant des détails. Le but était d’atteindre un résultat qui collait davantage à ce que j’avais imaginé. Il a par exemple ajouté une hélice sur le chapeau de l’aviatrice et il me semble qu’il a entièrement modélisé les différentes poses du danseur de breakdance car ce type de pose était introuvable dans les librairies. Cette étape s’est faite dans Blender, un logiciel libre très utilisé dans le milieu de la création de contenus 3D. (fig. 2)

CH : À ce stade, vous aviez donc des modélisations de personnages mais pas leurs différentes poses. Quelle a été l’étape suivante ?

AN : Une fois cette étape terminée, chaque personnage modélisé en position T, donc les bras ouverts à l’horizontale et les jambes légèrement écartées, a été téléchargé dans Mixamo. C’est une librairie de mouvements qui permet de donner un squelette virtuel à des modélisations et de leur appliquer des mouvements très basiques, comme la marche. C’est ce que nous avons fait et nous avons obtenu pour chaque personnage un fichier qui contient une animation. Pour moi, l’enjeu était ensuite de définir le nombre de poses minimum pour faire croire au mouvement sans avoir à imprimer trop de figurines. Pour la majorité de mes personnages, j’ai choisi un cycle de marche en quatre poses qui est vraiment le cycle le plus basique en animation. Le résultat n’est pas très fluide, mais ça donne un petit côté stylisé et brut que j’aime bien. À partir du fichier en mouvement obtenu avec Mixamo, Roel [van Beek] a isolé dans Blender toutes les poses que j’avais dessinées. Il les a ensuite exportées pour qu’on puisse les imprimer. (fig. 3–4)

CH : Quel type d’imprimante avez-vous utilisé ?

AN : Les étudiants en architecture de l’EPFL reçoivent tous une imprimante à filaments plastiques au début de leurs études. J’ai réussi à m’en faire prêter une et j’ai fait des tests qui n’étaient pas très concluants. Comme les figurines sont imprimées de bas en haut, tous les éléments qui « flottent » dans l’air, comme les bras du trompettiste par exemple, ont besoin d’être soutenus. Ils ne peuvent pas être imprimés dans le vide et ils sont donc imprimés sur un support qui ressemble à un pilier anguleux qu’il faut ensuite enlever manuellement. Le problème, c’est que tout ça est assez fragile et que les petits éléments comme la trompette se cassaient très souvent quand je démoulais et nettoyais les personnages. Une solution aurait été de les modéliser à plat et non debout, de façon à avoir le moins de vide possible, mais comme j’avais peu de temps et que toutes les modélisations avaient déjà été faites, j’ai décidé de me tourner vers un professionnel.

CH : Comment avez-vous trouvé la personne avec qui vous avez travaillé ?

AN : Les imprimeurs 3D pratiquent des coûts élevés et je n’avais clairement pas les moyens pour les devis qui m’ont été soumis. À force de chercher, je suis tombé sur de la publicité pour 3D Vitae Print, une petite entreprise morgienne installée dans une grange. Omer Ramçeski, l’entrepreneur qui a fondé cette société, était intéressé par mon projet. Je crois qu’il en avait un peu marre d’imprimer des pièces de rechange de machines et il a aimé le côté artistique de ma proposition. Il a accepté d’imprimer toutes mes figurines en résine pour 500 CHF, ce qui est une somme vraiment dérisoire, je ne sais pas comment j’aurais fait sans lui. J’ai quand même eu une mauvaise surprise quand je suis allé les récupérer parce qu’elles avaient été imprimées deux fois trop petit. Il a donc fallu tout refaire à la bonne échelle. Omer Ramçeski a fait un immense travail, puisque c’est lui qui a enlevé les filaments au cutter, qui a limé les figurines avant de les passer sous un filtre UV pour les durcir.

CH : Une fois que ces figurines étaient prêtes, vous n’aviez donc pas la possibilité d’imaginer de nouveaux mouvements au cours du tournage ?

AN : C’était effectivement impossible de changer d’avis. Il a donc fallu que j’anticipe et que j’imagine tous les mouvements que je voulais faire faire à mes personnages dans la phase de développement du film.

CH : Combien aviez-vous de figurines au total et qui s’est chargé de les peindre ?

AN : J’avais environ 230 figurines. Il me restait un peu moins de deux semaines avant la fin du projet quand je les ai reçues. Pour réussir à tenir mon délai, j’ai fait appel à des amis et des connaissances pour m’aider à les peindre en échange de sushis. Sept ou huit personnes ont accepté de me venir en aide et se sont relayées durant trois jours. C’était vraiment de très chouettes moments, avec une bonne ambiance. Comme les figurines sont imprimées dans une résine rose saumon, il a d’abord fallu faire une sous-couche blanche. Ensuite, chaque personne s’est occupée d’un personnage en particulier et a donc peint toutes ses poses. J’ai laissé une grande liberté aux gens concernant le choix des couleurs. Avant ça, j’avais été à War-Tavern à Lausanne qui est une boutique spécialisée dans les Warhammer. J’y ai suivi un cours de peinture pour figurines qui m’a été très utile car j’ai pu transmettre ce que j’avais appris aux autres. C’était assez technique, mais pour résumer on m’a conseillé de diluer la peinture pour avoir la bonne consistance parce que si elle est trop brute on voit les traces de pinceaux. Au contraire, si elle est trop liquide, elle n’accroche pas bien. (fig. 5–6)

CH : Est-ce que les décors ont aussi été fabriqués avec une imprimante 3D ?

AN : Certains éléments seulement. Mon amie Eve Finnie, avec qui j’ai étudié en Angleterre, venait de passer trois mois comme assistante décoratrice sur le tournage de la série Game of Thrones. Durant ce mandat, elle a essentiellement travaillé sur les maquettes de prévisualisation des décors qui sont imprimées en 3D avant la fabrication des décors en taille réelle. Comme elle avait une grande expérience, elle a dessiné, modélisé et imprimé à la bonne échelle des éléments comme le portail ou les cadres de fenêtres du théâtre qu’on n’aurait pas pu fabriquer aussi finement avec du carton. En revanche, les murs des bâtiments sont en carton ou en carton plume. On les a ensuite enduits pour donner de la texture même si pour finir ça ne se voit pas beaucoup dans le film parce qu’il y a peu de profondeur de champ. On a réalisé le toit avec des centaines de petits bouts de cartons qui imitent des tuiles. Quand j’y repense, je me dis qu’on aurait pu gagner du temps en se passant de ce genre de détails, mais sur le moment ça me semblait plus long de trouver une solution alternative que d’y aller de cette façon.

CH : Où ont été construits les décors ?

AN : Dans mon salon ! C’était vraiment le système D. Une fois qu’on a eu une ébauche de décors, on a fait les premiers tests de lumière avec le chef opérateur, Guillaume Epars. C’est un ami avec qui j’ai étudié en Belgique. Quand les décors ont été terminés, on les a déplacés en voiture jusqu’à Hélium Films, qui nous a loué son espace studio pour trois jours à prix d’ami, le temps de tourner. (fig. 7, 8, 9–10)

CH : Qui s’est chargé de l’animation des figurines ?

AN : C’est moi. Comme je ne pouvais pas rémunérer les gens comme je l’aurais souhaité, j’ai réduit l’équipe au maximum. Nous étions donc juste deux lors du tournage, Guillaume [Epars] et moi. J’ai travaillé à partir de l’animatique que j’avais créée. Pour faire tenir les figurines debout, j’ai dû utiliser de la Patafix. J’aurais bien aimé qu’on l’enlève de l’image au moment des effets spéciaux mais ça aurait pris beaucoup trop de temps, alors on l’a laissée. Ça participe à l’esthétique artisanale du film et si on ne sait pas qu’elle est là, on ne la voit pas.

CH : Quel type d’effets spéciaux avez-vous utilisé ?

AN : Ce n’est pas moi qui m’en suis chargé mais Marco Jörger. Les plans larges ont été tournés sur fond vert, il a donc fallu remplacer le fond à la fin du film, une fois que tous les personnages sont entrés dans le théâtre et que la sonnerie retentit pour annoncer le début de la pièce. Le passage du jour à la nuit avec le coucher de soleil est un effet qui a été réalisé par Marco [Jörger].

CH : La musique est très présente. Quelles ont été vos demandes au compositeur ?

AN : C’est Fabio Amurri qui a composé la musique. Je lui ai demandé une ambiance musicale qui soit immédiatement reconnaissable pour chaque personnage qui symbolise un spectacle. Comme la présence à l’écran de chaque personnage est extrêmement courte, on est dans des ambiances sonores un peu cliché, très marquées, mais je trouve que les transitions entre des ambiances très différentes les unes des autres fonctionnent bien et que le résultat est efficace.

CH : Comment a été reçu le film par Robert Bouvier ?

AN : Toute l’équipe du Passage a beaucoup aimé le film. Robert Bouvier m’a demandé de faire une version plus courte pour la publicité dans les cinémas car je m’étais permis de faire une version plus longue que celle attendue dans l’idée qu’elle viendrait nourrir mon portfolio. Et aussi une version de 10 secondes qui a été diffusée dans les bus neuchâtelois et sur de grands écrans à la gare. Je me suis rendu compte à ce moment-là que le budget pour la diffusion du film était plus élevé que celui pour sa réalisation.

CH : Est-ce que le film a été diffusé à l’étranger ?

AN : Oui, je l’ai inscrit dans différents festivals et il a notamment été sélectionné à Annecy7, en Allemagne, en Corée du Sud, en Angleterre, au Portugal, au Pays-Bas, en Slovénie et en Pologne. Je suis heureux qu’il ait pu voyager un peu.

BIOGRAPHIE D’ANTONIN NICLASS

Antonin Niclass est né à Genève en 1991. Après l’obtention de sa Maturité, il suit des études à l’Institut des arts de diffusion de Louvain-la-Neuve (Belgique) et obtient un Master en réalisation en 2015. En parallèle à ses études, il réalise avec des amis de courtes vidéos8 animées pour Tataki, un média en ligne de la Radio Télévision suisse qui s’adresse aux 15–25 ans. Cette première expérience lui permet d’entrer à la National Film & Television School de Beaconsfield (Royaume-Uni) où il est admis sur concours en 2019 au sein d’un cursus de réalisation de films d’animation. Son film de diplôme, Do Not Feed The Pigeon (Royaume-Uni, 2021), a été sélectionné dans près de 80 festivals et a remporté le BAFTA du meilleur court métrage d’animation britannique en 2022. Il est adapté cette même année en une expérience VR à 360° intitulée Midnight Story. En 2023, Niclass travaille durant quatre mois en tant qu’assistant-animateur sur le long métrage Sauvages (Suisse/France/Belgique, 2024) de Claude Barras. Après plusieurs résidences d’écriture au Canada et en Europe, il développe actuellement son deuxième court métrage d’animation. Il se consacre en parallèle à une « Petite leçon de cinéma » commandée par La Lanterne magique et produite par Milos-Films.

1 L’animation en volume désigne des techniques qui mobilisent des objets réels.

2  La version à laquelle nous faisons référence ici est le « director’s cut ». La version commandée par le Théâtre du Passage est plus courte.

3  Ces soirées appelées « Peer 2 Beer » s’articulent autour d’une présentation sur un sujet ad hoc qui est suivie d’un moment d’échange et d’un apéritif. Elles se veulent être un espace de réseautage où les personnes présentes peuvent se rencontrer et partager leur savoir-faire en matière d’animation.

4  Dans le cas de Ma vie de Courgette, les têtes des 54 marionnettes du film ont été imprimées en plastique blanc avant d’être entièrement peintes à la main par l’équipe de Cécile Milazzo, cheffe peintre du film. Ces finitions ont permis de donner de la texture et un aspect « fait main » à ces éléments très lisses et fabriqués de façon industrielle. Le recours à l’impression 3D a ainsi été compensé par une intervention humaine qui vise à donner une apparence plus « artisanale » dans le rendu formel de ces têtes. Il s’agissait en somme de cacher la dimension manufacturée et uniforme de ces éléments en réintroduisant dans le processus de fabrication une part d’aléatoire, afin de renforcer le caractère visuellement ­artisanal des marionnettes.

5  Au moins trois techniques d’impressions ont été utilisées au cours du processus de production : le frittage de poudre SLS®, la stéréolithographie et le Polyjet 3D®. Initial, initial.fr.

6  Projet FNS « Histoire de l’animation suisse francophone » (2023–2027), dirigé par Maria Tortajada à la Section d’histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne. Présentation du projet :  data.snf.ch.

7  Dans la catégorie « Film publicitaire » en 2023.

8  45 épisodes d’une durée de maximum une minute.