Claire Atherton

Le montage comme composition.

Entretien avec François Bovier et Serge Margel

Nous préparons un dossier sur le travail de Chantal Akerman. Comme on essaie d’être attentifs aux objets, aux films, dans leur spécificité, on se disait qu’il fallait distinguer les choses. Un des ensembles qui fait partie du travail de Chantal Akerman et sur lequel tu as été impliquée, c’est l’ensemble documentaire, comprenant D’Est, Sud, De l’autre côté et Là-bas . Cet ensemble est assez disjoint : D’Est répond à une autre modalité de construction que les films qui suivent. Comment as-tu travaillé à partir des images tournées, comment les choix se sont-ils faits avec Chantal Akerman pour monter ces images ? Un des éléments qui nous paraît saillant, c’est la tension entre la durée des plans et, tout à coup, leur interruption, leur suspension, à travers des processus qui ne relèvent plus de l’ordre du raccord. Il y a des blocs. Comment as-tu travaillé avec ces blocs ? Quand est-ce qu’on décide que ça s’arrête ? Et comme toujours, l’interruption veut dire qu’il y a une possibilité de reprise, donc de mise en relation. En tant que spectateurs, face à D’Est en particulier, on a l’impression qu’on assiste à des blocs de plans qui sont articulés de façon assez abrupte, et pas simplement juxtaposés.

Claire Atherton : Avec Chantal, nous ne décidions pas de la construction d’un film avant de nous lancer dans le montage. Pour D’Est comme pour l’ensemble de ses films, nous commencions à monter en tâtonnant, sans chercher à décoder ni à comprendre. Nous ne voulions pas être en avance sur le spectateur, en savoir plus que lui. Nous aimions découvrir en faisant.

C’est difficile, presque impossible, d’expliquer pourquoi ou comment je choisis la durée d’un plan. Ce n’est pas une décision, c’est quelque chose qui s’impose, que le film lui-même impose, de plus en plus fortement au fil du travail. Je sens qu’un plan trouve sa force lorsque sa durée nous permet de dépasser le temps de la connaissance pour revenir vers quelque chose d’élémentaire, de primordial, d’essentiel. Les plans sont vivants, ils ont chacun leur pulsation. Ils existent indépendamment de ce qu’ils montrent, et c’est à cela que je suis attentive. J’aime éprouver les matières sans me poser tout de suite la question de la signification. C’est cette écoute sans jugement qui m’a guidée pour façonner les « blocs » de D’Est , et trouver les durées justes.

Pour voir les films de Chantal, il n’y rien à savoir. Il faut simplement accepter de sauter dans le vide et s’ouvrir à une expérience.

Sais-tu d’où vient ce rapport à l’expérience et à l’organicité dans ton travail ?

Je crois que cela vient de mon intérêt pour la civilisation et la pensée chinoises. Dans l’écriture chinoise, l’association de différentes images crée une signification. Par exemple, la lune associée avec le soleil signifie la clarté, le cochon sous un toit signifie la maison ou le foyer. En chinois, dire ou écrire un mot, c’est déjà raconter une histoire. Jeune, je me suis beaucoup intéressée à la philosophie taoïste. J’étais perturbée et fascinée par la découverte de la notion de vide comme élément agissant. Le vide est le lieu où les transformations peuvent advenir, où les liens entre les choses peuvent se créer et rendre possible l’avènement d’un sens.

En Chine, l’art est très proche de la vie. L’art, c’est l’art de vivre : il n’y a pas l’art d’un côté et la vie de l’autre.

Tout cela a nourri en moi un rapport organique à la création artistique – organique mais aussi politique, au sens où l’art n’est pas un moyen de nous dire quoi penser mais un moyen de nous faire partager une expérience qui va susciter la pensée. C’est ce mouvement qui peut nous amener à nous remettre en question par rapport à nos certitudes et à interroger notre propre rapport au monde et pas seulement le rapport au monde des personnages du film. Par exemple, dans De l’autre côté , il ne s’agit pas de montrer du doigt les ranchers qui ont peur des migrants et qui veulent leur tirer dessus, mais de rendre possible une rencontre avec eux. Grâce à la musique de Chopin, la scène devient sensible. On se surprend à écouter les ranchers sans les juger, sans les considérer comme « mauvais ». Ils disent des choses effrayantes, même inhumaines, mais ils ne sont pas diabolisés. Ils restent humains. Et cela nous fait réfléchir à notre propre humanité ou inhumanité.

Pour en revenir à D’Est , je ne sais pas si je vois des « blocs » mais ce qui m’intéresse, c’est ce que vous y voyez, ce que chacun y voit, justement parce que c’est un film ouvert.

Plutôt que blocs de plans, utilisons alors l’expression de tableaux en mouvement. Les séquences ont une forme d’autonomie. Il n’y a pas la volonté de construire une phrase. Comme dans un tableau, on éprouve l’image, son cadrage, son bord ; puis on passe abruptement à un autre tableau. Évidemment, il y a des liens entre ces tableaux. Mais ils ont chacun leur propre unité, leur autonomie. Il est même possible d’autonomiser un certain nombre de ces séquences et de les faire exister en tant que telles.

Oui, d’ailleurs c’est ce qu’on a fait dans l’installation tirée du film. On a isolé certaines séquences qu’on a placées les unes à côté des autres de façon à les faire réagir ensemble. Je peux comprendre ce que vous dites mais je ne sais pas si je parlerais de blocs, car les blocs me font penser à quelque chose de fermé, de dur et d’immobile alors que le cinéma de Chantal est ouvert et en mouvement. Peut-être que « tableaux » me convient mieux. Mais dans un tableau, il y a quand même un élément qui manque : le temps qui passe.

J’aime comparer le montage à une composition, au sens plastique et musical du terme. Plastique car je travaille les rapports des cadres en confrontant les couleurs et les formes, et musicale car j’ai la sensation de tirer et de tisser plusieurs lignes comme si c’étaient les différentes voix d’une portée. Elles ont chacune leur chant, se rejoignent parfois, se séparent, se rattrapent l’une l’autre, se répondent, et c’est de leurs mouvements que naît le film.

C’est là où je me pose la question en tant que spectateur : où est-ce qu’on interrompt le plan, comment est-ce qu’on raccorde ? Quand est-ce que le film se suspend et peut continuer ? C’est surtout dans D’Est que cela me paraît frappant. Il y a une densité qui se construit, et tout d’un coup on coupe ; c’est ce que j’appelais l’interruption. Ça repose sur la prise de vue mais sur le montage aussi.

Oui, bien sûr, ça repose sur le montage. Mais monter de manière juste, c’est être à l’écoute des images, les associer, les joindre, les rythmer avec respect. Avec respect, cela veut dire sans leur assigner un rôle, mais en écoutant leurs mouvements, leurs temps et leurs mystères. Monter de manière juste, c’est organiser un réseau de résonances, pour que le visible résonne avec l’invisible. Alors, on découvre une sorte de nouveau territoire, et de nouveaux sens émanent, des sens qui ne sont pas figés.

Avec Chantal, on travaillait les images, les sons, les couleurs, les lignes géométriques et le temps comme autant de matières. Le temps pour nous était matière autant que la couleur, autant que le son des pas dans la neige.

Quand on construisait D’Est , on parlait de rupture, de contraste, de tensions, de lenteur… On n’a jamais parlé de ce que les images nous évoquaient. On ne s’est jamais dit que ça nous faisait penser à d’autres situations d’attente ou de déplacement, à d’autres moments de l’Histoire. Les images renfermaient un mystère qui était palpable dans la salle de montage, un mystère chargé de choses qu’on ne voulait pas nommer, de mots que l’on ne voulait pas prononcer. Je pense que si on avait essayé de nommer ces choses, si on s’était posé des questions psychologiques ou contextuelles, on aurait alourdi nos gestes. On n’aurait pas pu se laisser aller dans la chorégraphie des matières.

Quand tu travailles sur ces quatre films, interviens-tu seulement une fois que le tournage a eu lieu ?

Oui, je ne participe pas du tout au tournage.

On t’amène les bobines et tu les visionnes. Les regardais-tu avec Chantal ?

Oui, c’est ça.

On a lu dans le catalogue Bande(s) à part un entretien où tu dis que tu aimais bien qu’elle soit avec toi en train de faire des choses à côté, qu’elle soit là et pas là à la fois. Qu’elle soit là au sens physique, mais en étant au téléphone ou en train de faire à manger. Pourquoi sa présence est-elle importante quand elle fait autre chose que monter avec toi ?

En fait, cela dépend des moments. Au moment de la découverte des rushes, on est vraiment ensemble. On regarde ensemble…

Vous analysez…

Non, on n’analyse pas. Parce qu’on a besoin de préserver le mystère des images. On reçoit et on perçoit. On construit une relation avec chaque plan, surtout pour D’Est. Pendant le dérushage, on parlait des plans d’une manière extrêmement simple. Parfois on disait que c’était fort, ou que c’était beau. Parfois on ne disait rien. On parlait beaucoup de tension. Il nous arrivait aussi de dire que c’était « trop ». Trop dit, trop évident, trop montré… J’ai retrouvé des fiches que j’avais faites, une fiche pour chaque plan. Les plans sont assez joliment décrits, il n’y a pas de jugement, ni de contextualisation.

Chaque plan a une existence propre. Mais ce n’est pas pour ça qu’il va exister dans son intégralité dans le film.

C’est pour ça qu’on parlait d’interruption… C’est à dire que ça pourrait continuer mais il y a un moment donné où on interrompt.

Oui, on interrompt mais pour qu’il y ait quelque chose qui continue dans le plan suivant. Et c’est par l’interruption que l’on crée la possibilité d’une reprise ou d’une résonance plus tard dans le film.

C’est le cas dans D’Est . On a une scène avec une dame assise : c’est une espèce de portrait ; elle ne parle pas, le plan dure deux minutes. On la voit assise et elle attend. Par la suite, il y a une autre scène analogue, même si ce n’est pas le même plan. Il s’agit d’une autre dame, mais qui est filmée dans le même esprit. La mise en scène est très claire, très simple, très belle.

Puis pour le coup, il y a une articulation très forte entre le dedans et le dehors : entre l’espace intérieur, domestique, intime, et l’espace extérieur. C’est quelque chose d’extrêmement construit.

Oui, c’est construit, mais c’est par des lignes de force et de tensions plastiques, temporelles et musicales que cette construction entre intérieur et extérieur apparaît. La façon de Chantal d’approcher l’intimité n’est ni conceptuelle, ni indiscrète, ni impudique, ni psychologisante. Elle touche à quelque chose d’essentiel de notre état d’être humain.

D’Est et Là-bas commencent l’un et l’autre par une scène où l’on est à l’intérieur, dans un appartement ; et on regarde dehors, par la fenêtre. Dans D’Est, c’est la route, les voitures qui passent ; et puis on est à l’intérieur, et on entend le bruit ambiant dans l’appartement.

Là-bas s’ouvre de la même façon, sur un plan encore plus long. L’intérieur nous inscrit, nous spectateurs, dans cet espace qui n’est pas le nôtre, mais qu’on habite. Et nous sommes projetés dans un extérieur. Il y a une construction, un scénario…

Il y a une construction, mais elle ne repose pas sur un scénario. Le texte dont est issue la voix off n’est pas un scénario. C’est une matière que Chantal m’a confiée en même temps que les images. Mais à ce moment-là, elle n’était pas sûre qu’il y ait un film.

Quand son producteur lui a demandé de faire quelque chose sur Israël, elle a d’abord refusé : elle a dit que Chantal et Israël, c’était trop lourd. Il se trouve qu’elle devait quand même y aller pour montrer ses films. Elle a loué un appartement à Tel-Aviv. Elle avait une caméra. À un moment donné, elle a mis la caméra en marche et elle a commencé à filmer. Tout à coup, elle a vu un cadre et il y a eu une image possible. À partir de là, elle a senti que ça n’était plus Chantal qui faisait un film sur Israël mais que c’était Chantal qui filmait. Donc le film est parti d’une image. C’était loin d’être un scénario. Je voudrais partager avec vous son récit :

« J’avais loué un appartement. J’ai commencé à écrire tout ce qui me passait par la tête et puis soudain j’ai trouvé un plan. J’ai posé ma caméra, et voilà, ça a commencé comme ça. Je suis revenue avec une dizaine d’heures de rushes. Je ne savais pas s’il allait y avoir un film au bout, mais j’ai appelé ma monteuse, Claire Atherton, et je lui ai dit « Voyons ». Et ça s’est monté comme ça, comme ça s’est tourné. C’était étrange. Ce fut un film si facile à monter. (…) Ça ne s’explique pas, ça ne se dit pas, de voir soudain un plan. Et c’est la même chose au montage : pourquoi choisir celui-ci plutôt que celui-là, pourquoi leur donner telle longueur, ça ne s’explique pas […]. Car ce n’est pas théorique, on ne fait que le sentir. Il n’y a rien de logique dans la longueur d’un plan. Ce n’est que senti. »

Il y a une histoire assez incroyable au sujet de Là-bas. Quand Chantal est rentrée d’Israël, on a visionné ensemble les images qu’elle avait tournées. Un matin, elle a dû s’absenter, et j’ai continué à regarder les rushes sans elle. Assez vite, je me suis rendue compte que je ne sentais plus la force des plans, inexplicablement. J’ai commencé à m’inquiéter. Je me suis demandé si c’était lié à l’absence de Chantal. Les images n’étaient plus chargées. C’était étrange parce qu’elles n’étaient ni mauvaises ni ratées, mais elles ne me parlaient pas, je ne sentais plus de beauté.Puis j’ai compris. À un moment, à l’intérieur d’un plan, le téléphone sonne, une voix d’homme répond et dit : « Chantal n’est pas là aujourd’hui ; je fais quelques plans en l’attendant ». En fait, ce n’était pas les images filmées par Chantal que je regardais ce matin-là. Elles n’étaient pas différentes en apparence et pourtant elles n’avaient rien à voir. J’ai été saisie de réaliser une fois de plus à quel point la force des images vient d’un endroit au-delà du visible. C’est peut-être ça la beauté : une organisation des rythmes, où le visible résonne avec l’invisible.

Tu dis souvent que tu aimes commencer à monter un film par son début…

En effet j’aime commencer à monter un film par le début. Parfois pendant le dérushage, j’ai l’intuition que tel ou tel plan pourrait ouvrir le film, que ce serait une première pierre à poser. Pour travailler l’entrée dans le film, j’ai besoin d’être seule. Je sens qu’il se joue quelque chose d’intime avec la matière, je suis presque intimidée. J’essaie des mises en relation, je fais des assemblages de plans dans une espèce de semi-conscience. Tout à coup une forme de narration apparaît, je la suis un moment, elle me guide. Mais le montage reste fondamentalement lié à la matière des images et des sons. Si de temps en temps j’ai besoin de suivre un fil narratif, je ne m’y accroche jamais, je suis toujours prête à le lâcher pour sauter à nouveau dans le vide, sans me poser de question. Un des enjeux du montage, c’est de chasser la petite voix qui nous demande tout le temps pourquoi on fait tel ou tel choix. Si je commence à lui répondre, je perds la relation aux images. J’aime avancer sans chercher à comprendre le pourquoi de mes gestes, et redécouvrir mes tentatives avec les cinéastes. C’est à ce moment-là qu’on sait si le montage est juste. S’il est juste alors le film se révèle et commence à nous guider.

Quand le montage est trouvé, je n’ai pas l’impression de m’être battue avec la matière pour la faire correspondre à un sens prévu à l’avance, mais d’avoir créé une atmosphère, une attention, une écoute où les choses peuvent advenir. Je sens là l’influence de la pensée chinoise car dans la philosophie taoïste, il y a cette idée que l’on ne force pas les choses, que l’on n’explique pas tout et que la force vient de la patience et de la souplesse. Le chemin qu’on prend pour fabriquer un film influe et infuse dans le film lui-même.

Ce qui est intéressant aussi, c’est que le dialogue en cours de montage ne passe pas forcément par les mots.

Ça ne passe pas par des mots qui définissent ce qu’on veut faire ou qui décryptent les images. Mais ça peut passer par beaucoup d’autres mots. Il m’arrive souvent d’avoir l’intuition d’une direction à chercher dans un film en parlant d’autre chose avec le ou la cinéaste. Le dialogue peut aussi passer par un regard, une attitude, une émotion, des silences. On est nombreux dans la salle de montage… Je veux dire qu’il y a beaucoup de choses auxquelles je suis attentive : les images, les sons, le temps, le rythme des plans, leurs tonalités, mais aussi tout ce qui émane de la personne avec qui je monte le film.

Avec Chantal on parlait beaucoup, mais finalement assez peu du film. Ou peut-être du film à travers ce qu’il ouvrait en nous, ce qu’il nous faisait découvrir.

Qu’est-ce qu’elle t’a dit par exemple quand elle a réalisé D’Est  ?

Elle m’a dit qu’elle voulait faire un grand voyage à travers l’Europe de l’Est tant qu’il était encore temps. Voilà ses mots :

« Je voudrais filmer là-bas à ma manière documentaire frôlant la fiction. Tout ce qui me touche. Filmer tout ce qui me touche, tant qu’il est encore temps.

Des visages, des bouts de rue, des voitures qui passent et des autobus, des gares et des plaines, des rivières ou des mers, des fleuves et des ruisseaux, des arbres et des forêts. Des champs et des usines et encore des visages, de la nourriture, des intérieurs, des portes, des fenêtres, des préparations de repas. Des femmes et des hommes, des jeunes et des vieux qui passent ou qui s’arrêtent, assis ou debout, parfois même couchés. Des jours et des nuits, la pluie et le vent, la neige et le printemps.

Et tout cela qui se transforme doucement, tout au long du voyage, les visages et les paysages. »

Pour D’Est, y avait-il énormément de rushes par rapport à ce qui est conservé dans le film ?

Énormément, non. Chantal n’avait pas l’habitude de tourner une grande quantité de rushes. En plus D’Est a été filmé en 16mm, et en pellicule le nombre de bobines est limité.

On a monté le film en 16mm, et au montage comme au tournage, le rapport au temps est différent. Le montage en pellicule comportait un rituel de gestes qui n’existe plus aujourd’hui. Il y avait la nécessité d’une manipulation qui créait un espace entre le geste et le « résultat », qu’on pourrait appeler le temps du processus. Nos mains étaient occupées mais notre esprit pouvait s’échapper. On pouvait oublier tout objectif. Le montage virtuel a effacé ce temps de méditation. Il n’y a plus qu’à cliquer. Mais on peut toujours recréer un rituel, s’empêcher d’aller trop vite. Quand j’ai l’impression que ça va trop vite, je me lève, je marche un peu, je bois un café, ou je regarde par la fenêtre. C’est important de créer cette relation de va-et-vient avec le film, pour avoir le temps d’oublier. Sinon on essaie et on essaie encore et encore, frénétiquement, jusqu’à perdre notre relation aux images, comme cela arrive fréquemment aux jeunes monteurs. D’ailleurs, je les entends souvent dire qu’ils vont « tester » ou « valider » une version de montage. On teste une ampoule ou une pile, on valide un acte de vente, mais on ne teste ni on ne valide un film. Un film, on le regarde, on l’écoute, on le sent, on l’éprouve, on le questionne. Peut-être que j’accorde trop d’importance aux mots. Mais les mots qu’on prononce disent beaucoup de nous et du temps dans lequel on vit.

Transcription de Grégoire Marcel